Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Les discussions ont commencé sur le projet de loi qui vise à conforter les principes républicains. Il est question de tournant sécuritaire.
Voilà encore une loi qui va échauffer les esprits – oh, seulement un petit moment pour distraire de la lassante pandémie –, agiter les médias, ébranler les réseaux sociaux, susciter d’innombrables commentaires, animer un parlement qui dans son inutile vanité cherche à exister et qui, à cette occasion, comme régulièrement, vomira son flot bourbeux d’éloquence politicienne, la plus vulgaire qui soit.
Au motif de « conforter la République », il ne s’agit une fois de plus que d’essayer de « conforter » un gouvernement qui vacille sur des bases politiques, administratives, intellectuelles et morales aussi mal construites que mal choisies, comme la crise sanitaire, et jusqu’à l’affaire des vaccins, ne le démontre que trop. Ce au moment où l’idée qui domine toute l’action de l’exécutif se concentre sur les moyens de préparer au président sortant – car ce n’est plus que cette préoccupation qui compte – un socle électoral conforté – c’est le cas de le dire – dont la stabilité judicieusement ajustée pourrait lui assurer en 2022 sur un centre droit consolidé, sanitaire et sécuritaire, un deuxième tour plus convaincant qu’en 2017 où, face au risque d’un « populisme » immaîtrisable, l’heure sonnait jusqu’à la folie d’un centre gauche mondialiste et libertaire. C’est ce qu’on appelle dans les milieux politiques de la « stratégie » ! Le projet de loi « confortant les principes républicains », comme la loi dite de « sécurité globale », entre dans cette perspective. Et c’est cette perspective qu’il convient de bien resituer pour en comprendre la portée.
Il faut et il suffit d’y voir ce perpétuel jeu de courants alternés qui meuvent et orientent en le traversant continûment le libéralisme français qui fait le fond de pensée de la république bourgeoise depuis le XIXe siècle. Ce jeu se répète indéfiniment en se présentant, à chaque bouillonnement du marigot, comme une fabuleuse nouveauté – toujours le rêve de « la nouvelle société » – quand la même nauséabonde mixture se met à changer de direction dans le caniveau usé de la pratique républicaine. Le gaullisme qui croyait transcender les clivages n’a pas échappé à cette oscillation inéluctable, pas plus que le mitterrandisme ou le chiraquisme. C’est ainsi, le tout n’étant jamais, au-delà des discours et des théories, bien au-delà des commentaires des experts et des professeurs, que de s’emparer encore et toujours de la puissance publique. Le procédé est obligé, c’est un point qu’il faut bien saisir et qui réduit à néant toutes les prétentions de notre droit public : la jacobinerie d’État, même et surtout dite décentralisée, ce qui ne fait jamais qu’une superstructure administrative de plus au profit des enjeux de pouvoir, reste le ressort essentiel de l’action politique, y compris et principalement chez nos prétendus libéraux qui ne pensent, comme tous les idéologues du progrès continu et obligatoire depuis plus de deux siècles, qu’à diriger et à contrôler la vie des citoyens du berceau à la tombe ; tels de petits Xi Jinping, à leur façon, puisqu’ils ont mille idées sur tout. Et donc autant de lois à façonner.
Le macronisme se transforme, dit-on, il s’adapte. Que nenni ! Macron patauge dans les mêmes marais où la République française s’embourbe régulièrement. Il est dans la même situation que tous ses prédécesseurs de la Ve République et tous les politiciens des républiques antérieures. En perpétuelle quête du pouvoir où un programme électoral, niaiseux par définition, se revêt des atours d’un projet partagé.
L’analyse des derniers discours macroniens décèle, d’ailleurs, sous les artifices du langage, les mêmes ambiguïtés. À L’Express, à Brut, il débite un salmigondis de propositions contraires et d’apories fuligineuses qu’il aligne comme des évidences pour signifier que tout est dans tout et le contraire plus sûrement encore : la souveraineté est souveraine sans l’être vraiment, elle est française, mais plus encore européenne et transnationale ; la nation n’est pas le communautarisme, mais le communautarisme – « mot avec lequel je ne suis pas à l’aise » – peut se vivre dans la nation qui n’est rien d’autre que la République, universelle par essence ! La culture est multiculturelle. Les minorités sont discriminées, mais la République est « une », bien que la police fasse des tris inacceptables. Au point que les syndicats de police se demandent à quoi pourrait servir le fameux « Beauvau » des forces de l’ordre avec de tels propos, si injurieux à leur égard, dans la bouche du chef de l’État.
Pour faire plaisir aux écologistes et à la Convention citoyenne qu’il ne maîtrise plus, il annonce un possible référendum constitutionnel sur l’environnement et le climat dont le caractère inutile et superfétatoire est manifeste. Et voilà qu’il refait une convention de citoyens pour juger l’action publique contre la pandémie.
C’est partout et à tous les niveaux du grand n’importe quoi. Ce qui ne l’a pas empêché de faire de ses vœux une séance d’autosatisfaction.
C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la loi de renforcement des principes républicains. L’intitulé a varié. Il a été question de lutter contre « les séparatismes », puis « le séparatisme », « le communautarisme ». Le 2 octobre, aux Mureaux, évoquant la future loi qu’il jugeait nécessaire, le président parlait de « stratégie contre le séparatisme », un séparatisme « que l’État avait lui-même construit avec une politique de peuplement génératrice de ghettoïsation ». Et son ministre de l’Intérieur, Darmanin, sa caution de droite, y allait encore plus fort. Et le ministre de l’Éducation nationale, Blanquer, pareillement. Mais voilà, comment faire ? Attaquer de front le problème : impossible ! Tout le monde sait que plus personne ne contrôle les banlieues, les quartiers dits sensibles qu’aucun organisme, même policier, ne peut sérieusement inspecter ni même répertorier, les mosquées encore moins, même si, de temps en temps, il en est qui sont visées par une décision judiciaire ou administrative, comme à l’encontre des quelques trop visibles associations qui promeuvent publiquement un islam radical, tel le Collectif contre l’islamophobie. Mais pour le reste qui pullule par milliers sous tous les prétextes possibles, du religieux à l’éducatif, du culturel au sportif, avec toutes sortes de complicités locales, que peut la loi ? Sans compter les querelles qui divisent les organisations musulmanes et qui rendent vaines toutes les tentatives de constituer un islam de France. La Grande Mosquée de Paris vient encore de le faire savoir.
Les hommes politiques qui, en plus, n’y comprennent rien, sont totalement désarmés. Discours et propositions tiennent lieu d’action. Le texte de la loi ne se présente plus, pour qui veut bien comprendre, que comme la liste des carences et des impuissances de l’État. Pour le dire clairement, de la République.
L’astuce consiste alors à l’habiller en bulletin de victoire et en résolution martiale. Rien de plus facile : l’histoire a bon dos ; la République, c’est connu, a vaincu l’Église catholique et l’a réduite à sa loi et à son droit. Voilà donc le modèle. Un seul absolu : la République ; le reste ne peut être que du particulier et du relatif. Dans cet esprit, les musulmans n’auront plus qu’à se plier à la loi républicaine comme les catholiques. C’est ainsi que l’intitulé est devenu « Projet de loi visant à conforter les principes républicains ». C’est sous le patronage de la loi de 1905 qu’il fut présenté au conseil des ministres pour le 115e anniversaire de la promulgation de cette loi dite de séparation qui garantit la laïcité de l’État.
Misérable tour de passe-passe. Plus d’islam, plus d’islamisme, plus d’immigration musulmane, plus de territoires perdus, plus de charia, plus de mosquées, plus de salafistes, plus de terroristes. Le Premier ministre Castex « s’est défendu de légiférer contre les religions et contre la religion musulmane en particulier ». Il a précisé : « C’est à l’inverse une loi de liberté, une loi de protection, une loi d’émancipation face au fondamentalisme religieux. » Et de parler de « stratégie d’ensemble » et de « promesse républicaine ».
La loi se contente donc de rendre automatique l’inscription au Fichier des auteurs d’infraction terroriste les personnes condamnées pour provocation ou apologie d’actes de terrorisme. Tiens, donc ! D’étendre l’obligation de neutralité aux services publics, donc aux transports. Tiens, donc ! De créer un délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations. Tiens, donc ! De demander aux associations qui sollicitent des subventions – et qui les obtiennent ! – de s’engager à respecter les valeurs de la République. Tiens, donc ! De façon, est-il précisé, que l’argent public ne puisse pas financer « ceux qui y contreviennent ». Tiens, donc ! De faire en sorte que la polygamie devienne un motif de refus pour les titres de séjour. Tiens, donc ! De donner aux enfants en âge d’être scolarisés un identifiant national pour contrôler l’enseignement dit à domicile. Tiens, donc ! Enfin, d’engager les associations loi de 1901 qui forment le substrat des statuts juridiques des organisations musulmanes, à passer sous le statut de 1905 pour que les financements, notamment étrangers, puissent être vérifiés. Tiens, donc ! Et qui finance qui ? Et jusqu’où ? Un tel statut éviterait aussi les « putschs extrémistes ». Tiens, donc ! Resterait alors à former des cadres musulmans en France ; on connaît déjà les vaines tentatives opérées sous Sarkozy.
Ainsi, pensent Macron et tous les politiciens à sa suite, sera-t-il possible de faite émerger un islam de France ? Un islam qui se fondra comme le catholicisme français dans la République !
Cette loi n’est qu’une immense duperie. Une de plus. Ceux qui vont le plus y perdre sont, d’ailleurs, les Français d’origine musulmane qui sont d’abord attachés à la France. Et qu’il aurait fallu commencer par privilégier. Tel n’est pas le cas. L’affaire de l’islam et de l’islamisme va continuer à pourrir. En France et la France. Assimilation, intégration, reviennent les mêmes mots qu’au moment de l’affaire d’Algérie. Avec la même impossibilité républicaine de résoudre le problème. Et, vraisemblablement, la même tragédie au final.
La vérité que personne ne dit : la République est historiquement et idéologiquement, malgré Tocqueville, une rupture radicale, et constamment renouvelée, avec le génie propre de notre pays. Elle est incapable d’assumer la charge de notre destin national. Par sa nature même, la République est un séparatisme qui a réussi à s’emparer de l’État. Elle n’est même que ça. Et elle ne cesse de reprendre sa même entreprise qui est de séparer la France de son histoire et de ses sources de vie. Comment pourrait-elle dans ces conditions s’opposer au séparatisme islamique ? La loi prouve qu’elle a déjà renoncé.