Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

La pesanteur ou la grâce

Serait-il possible de rebondir après la crise ? Le gouvernement se l’imagine, mais le passé devrait lui servir de leçon.

Facebook Twitter Email Imprimer

La pesanteur ou la grâce

« L’après » ne sera plus comme « l’avant ». C’est le leitmotiv, « l’élément de langage » que nous répètent à satiété ceux qui tiennent en main les destinées de la République.

Cette formule par sa généralité devrait, en principe, concerner les futurs aménagements politiques de la nation. Macron semblait bien le supposer dans son discours du 13 avril qui se voulait stimulant, comme celui d’un chef d’armée : il visait « l’après » en annonçant souverainement la date du 11 mai et en décidant de la reprise de l’activité en France dans l’attente espérée « des jours heureux », allusion non équivoque au Conseil national de la Résistance. Cependant la clef d’un avenir meilleur se trouverait, si nous le comprenons bien, dans des changements salutaires qu’il faudrait savoir opérer, une révolution dans nos modes de pensée, dans nos manières d’agir. « Sachons sortir des sentiers battus, des idéologies et nous renouveler, moi le premier. » Il aspirait même alors de façon explicite à une union nationale que les temps difficiles rendaient plus nécessaire que jamais. « Dans les prochaines semaines, avec toutes les composantes de la nation, je tâcherai de dessiner ce chemin. » L’été passera qu’il est plus que probable que rien de ce superbe projet d’unité nationale pour vaincre l’adversité ne pourra même éclore.

La pesanteur macronienne

Pour une raison simple : c’est que Macron, en parlant ainsi, oublie qu’il n’est jamais qu’un petit chef comme les autres, élu d’ailleurs pas surprise, parvenu au pouvoir à la tête d’un clan par un coup combiné de ruses politiques et de pressions médiatiques ; il feint d’oublier, encore qu’il y pense constamment, que dans deux ans à peine il devra se resoumettre à l’épreuve électorale dans un contexte de défiance généralisée et de luttes intestines aggravées.

D’où il résulte qu’il n’a pas en lui-même, malgré sa prétention, une légitimité suffisante pour invoquer, comme jadis un Henri IV, un esprit d’union nationale. Pas plus que ses prédécesseurs qui étaient tous entachés du même vice originel. Il joue au monarque, et mal, s’imaginant que la décision solitaire est le sceau de son statut, y ajoutant des airs inspirés, alors qu’il n’est jamais constitutivement, comme il a déjà été écrit dans ces colonnes, qu’un faux roi, au mieux un substitut de roi, ce qu’a été chez nous, constitutionnellement, historiquement, le président de la République. De Gaulle, Mitterrand, Chirac même le savaient pertinemment. Il arrive à Macron d’en avoir quelque lueur.

Contrairement à ce qu’on fait croire au Français moyen, la France n’est pas en monarchie, pas même en monarchie républicaine ; elle est soumise à un pouvoir à la fois monocratique (tyrannique, chez les Grecs), oligarchique et démagogique, trois caractéristiques des systèmes politiques viciés que décrit magistralement Aristote.

Le renforcement de la présidence doublé de l’abrègement du mandat n’a fait qu’imprimer davantage dans les institutions ce caractère de déviance essentielle. Le pouvoir devient un lieu de dévoiement et de transgression où l’usage de la puissance sert à couvrir la faiblesse originelle du principe même de légalité et de légitimité : l’autorité souveraine conquise par aventure en usant de la machinerie électorale. Aucun jeu de majesté, aucun autoritarisme de compensation ne peut pallier cette débilité fondamentale.

Et Macron peut d’autant moins revendiquer une légitimité historique nationale faite de continuité et d’unité qu’il a contribué plus qu’aucun autre à la ruiner par son mépris constant de la France, des Français, en récusant au surplus et systématiquement, en tout domaine, toute solution proprement française qu’il considérait toujours comme inadéquate. L’aventurier de passage qu’il est n’a jamais manifesté d’intérêt que pour l’aventure européiste dans des perspectives mondialistes. Dans combien de discours n’a-t-il pas affirmé ou sous-entendu qu’il était prêt à sacrifier la souveraineté française pour une chimère de souveraineté européenne, ou même mondiale ? Alors que la France fait aujourd’hui le constat accablant du résultat des politiques menées depuis des décennies par une République française que des générations de dirigeants, avant Macron et déjà tout comme lui, ont privée de ses capacités industrielles, techniques, économiques, financières, monétaires et, surtout, essentiellement politiques, par des séries indéfinies de lâches abandons, tout en alourdissant constamment l’État et tout l’appareil de la puissance publique pour des motifs idéologiques et partisans, au point de les rendre ingérables. Impéritie structurelle, bureaucratie technocratique, tel est le double effet mécanique, absurde et criminel, des mesures accumulées par toute la série des politiciens qui se sont succédé à la tête de l’État avec leurs partis depuis cinquante ans !

Tous les esprits avisés le disent aujourd’hui : un État prépotent, impotent, pesant effroyablement sur la nation et pourtant dénationalisé, tentaculaire par ses lois et ses règlements, totalitaire dans son esprit, aussi tatillon qu’inefficace. Et rien ne sert de vilipender, comme il est devenu de mode de le faire depuis quelque temps, la technostructure qui serait responsable en tant que telle de ce désastre, ni de gémir sur les carences d’une administration jacobine en cherchant des causes dans ce qui ne constitue jamais que des effets, pour éviter de dénoncer le mal en son principe essentiel. Et ce mal n’est pas le « mal français », comme l’écrivait naguère Alain Peyrefitte, pour imputer à l’esprit français les tares du régime inepte dont crève la France, c’est le mal républicain, précisément républicain. La République, elle et elle seule, avec son fonctionnement aux mécaniques implacables est la cause directe et proportionnée du malheur français. Aujourd’hui comme hier. En 1940, ce fut le temps d’une défaite, la plus grande de notre histoire nationale, une certitude aveuglante qu’on s’est empressé par la suite de nier. Qui a dirigé la France entre 1919 et 1939 ? Et maintenant ? N’est-ce pas aussi clair ? Pour tout esprit cohérent, il y a là matière à tirer des conclusions ! Eh bien non ! Il est plus que probable que Macron, comme ses prédécesseurs, ne changera pas. La pesanteur républicaine qui nous écrase, l’écrase également, il ne peut s’en dégager. Sauf grâce spéciale ! Il faudrait qu’il comprenne avec l’esprit et le cœur, en réalité qu’il accepte en lui-même de comprendre ce que sa formation, sa manière même de concevoir la vie et le pouvoir, l’empêchent absolument de comprendre. Bref, il lui faudrait une conversion. « Brûler ce qu’il a adoré et adorer ce qu’il a brûlé », comme jadis Clovis.

« L’obéissance à un homme dont l’autorité n’est pas illuminée de légitimité, c’est un cauchemar », a écrit Simone Weil, la philosophe si profonde, revenue de toutes les erreurs modernes par expérience personnelle, et jusqu’au tragique, et qui, à la fin de sa vie, détestait le régime des partis qui avait perdu la France de l’entre-deux guerres et vicié toute représentation de la nation, ainsi qu’elle l’exprime vigoureusement dans sa Note sur la suppression générale des partis politiques. Sa quête perpétuelle et courageuse de vérité jusqu’au sacrifice total la détournait peu à peu des chimères progressistes et de toutes les faussetés socialo-révolutionnaires, et la poussait sans cesse en avant vers la claire évidence de la légitimité religieuse qui ne peut être pour elle, en même temps, que politique, sociale, christique. « La légitimité, c’est la continuité dans le temps, la permanence, un invariant. Elle donne comme finalité à la vie sociale quelque chose qui existe et qui est conçu comme ayant toujours été et devant être toujours. Elle oblige les hommes à vouloir exactement ce qui est. »

Le mépris de la grâce

Ou bien la formule de « l’après » qui ne doit plus être comme « l’avant » se réduira-t-elle aux multiples mesures que le Premier ministre doit mettre en œuvre, en tous secteurs, l’État s’occupant de tout, plus ou moins cohérentes, souvent contradictoires, présentées différemment par les deux têtes de l’Exécutif, le président censé fixer les grandes lignes mais ne pouvant s’empêcher de déborder sur le détail, le Premier ministre lancé dans des énumérations indéfinies mais ne pouvant s’empêcher de donner quelque sens à un ensemble touffu et disparate. L’Elysée ou Matignon ? Problème récurrent de la Ve République quinquennatisée !

Ce qui fait qu’à cette heure « l’après » ressemble étrangement à « l’avant ». Et ce qui est prévisible, c’est que de plus en plus avec le déconfinement tout sera sujet à discussion, de la rentrée des classes à la reprise du travail et des transports. L’État, de plus, par la voix du Premier ministre, a fait savoir que la religion, les cultes comme on dit, était le dernier de ses soucis, méprisant en fait très spécifiquement les catholiques, ne considérant leur vie spirituelle et sacramentelle pas plus qu’une activité ludique. Des évêques, des prêtres, des laïcs ont protesté avec la plus juste des indignations. Nos gens de pouvoir qui nient la grâce, créent des abîmes de pesanteur. Savent-ils le prix qu’ils en paieront ? Il n’est pas bon de bafouer le Seigneur de la gloire !

Au lieu d’infantiliser les Français, il apparaît de plus en plus que la meilleure façon de régler les problèmes est, dans un cadre général fixé par l’État, de laisser l’initiative aux élus et aux responsables administratifs locaux, les préfets en particulier. Ne serait-il pas sage de remettre enfin les Français dans la vie réelle, dans l’exercice de leurs responsabilités et de leurs libertés ? Ils ont montré partout dans la pénurie leur débrouillardise et leur sens civique, ce qui est, pour le moment, le salut concret de la France. Rendons aux Français la pratique et le goût de leurs libertés, y compris religieuse. Le comte de Paris s’est exprimé sur le sujet fermement, avec toute l’autorité d’un prince soucieux du bien commun.

Les dispositions prises par les autorités de l’État en raison d’un mensonge originel ont causé des effets catastrophiques. On sait dès maintenant que la crise économique qui va frapper la France sera pire que celle que subiront la plupart des autres pays d’Europe. Les chiffres sont là, plus dramatiques que ce qui était prévu ; ils s’aggraveront encore, entraînant des conséquences que personne n’ose supputer : faillites, chômage de masse, endettement massif de l’État qui ne pourra subvenir à tout, casse sociale et appauvrissement généralisé des familles, épargne spoliée, manque d’approvisionnement, même famine pour certains et qui commence déjà. Edouard Philippe qui n’est pas complètement idiot, a parlé d’effondrement économique. Il faudra y ajouter la révolte sociale et l’éclatement des banlieues. L’Europe n’y pourra rien, même avec ses milliers de milliards annoncés qui ne feront qu’ajouter des problèmes à d’autres problèmes, avec au bout l’explosion de la zone euro quasi inéluctable. Un « après » qui ne sera jamais qu’une conséquence de plus de « l’avant ».

L’avenir français ne présente, à cette heure, aucune perspective heureuse. La mécanique républicaine avec toute sa pesanteur habitudinaire aura épuisé le pays, selon la pente naturelle de ce régime inaméliorable. « Tous les mouvements naturels de l’homme sont régis par des lois analogues à celles de la pesanteur matérielle. La grâce seule fait exception », écrivait avec justesse Simone Weil, et sa réflexion portait sur le tout de la vie, y compris sociale. L’heure est au choix. La lourde machinerie d’habitudes invétérées ou l’appel à un salut libérateur ? La pesanteur ou la grâce ?

Illustration : L’État jacobin se défausse sur les responsables locaux.

 

 

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés