On a connu François plus fulminant quand il s’agissait d’évoquer le négationnisme suicidaire (sic) de ceux qui ne veulent pas se faire vacciner… C’est le même pape, une face souriante et une face furieuse, avec un peu de ruse[1] pour sceller les deux. De l’autre côté, les évêques américains débattent pour interdire la communion au président Biden, catholique militant ouvertement en faveur de l’avortement. Quelle est la réponse du Saint Siège ? D’une part, leur dire que puisque tout doit être synodal tout sera décidé à Rome ; c’est contradictoire et clérical, certes, mais c’est François ; de l’autre, expliquer que la cohérence eucharistique n’est pas la règle absolue et que, sans rien changer à la morale, bien sûr, on peut l’évaluer très différemment.
Le Vatican, deux fois de plus, montre qu’il est acquis au siècle. On ne changera rien ni au dogme ni à la morale – ça ferait débat – mais on aura démontré, à de nombreuses reprises, que le premier n’a aucune importance et que la seconde doit en permanence s’adapter aux mœurs. Et pendant ce temps, la même Église, le même Vatican, s’apprêtent à béatifier (en 2022 ?) les prêtres martyrs de la Commune, cause enterrée par le Cardinal Marty et les Jésuites en 1968 et bien maintenue sous le boisseau. C’est ainsi : en même temps qu’on brade tout l’héritage, on célèbre les pères. François n’a pas dit qu’il entendait déconstruire l’histoire de l’Église, comme Macron a pu le dire pour l’histoire de France, mais il s’y emploie de la même manière, et peut-être plus radicalement et efficacement que le président français.
Avec lui, tout est inconditionnel : l’accueil des immigrants, le partage des richesses, la lutte contre le réchauffement climatique, bref toutes les modalités pratiques de la mondialisation. Il rêve d’une planète unie où chacun vaquera à sa guise, pouvant toujours compter sur une mystérieuse charité collective : sans doute espère-t-il que quelques résidents culpabilisés à souhait seront là pour servir en permanence les voyageurs illuminés. Et là aussi, quand on lui remontre que la frontière protège, ou que le droit existe, ou que le communisme n’a pas que des vertus, il se défend d’avoir voulu imposer quoi que ce soit et explique avec bonhommie que, bien sûr, s’il faut accueillir tous les migrants il faut le faire si on le peut, et va en paix, mon enfant, débrouille-toi avec ça. Peu à peu, la parole du dernier pape régnant prend le pas sur toutes les traditions, tous les savoirs, toutes les opinions, toutes les prudences, tous les raisonnements : on ne discute pas avec le souriant Pontife, on ne résiste pas au sourcilleux Père. Toujours ouvert au monde, toujours fermé aux critiques, François circonscrit ses opposants, les disqualifie, les méprise par son silence et les réduit au silence.
Dissolution et recomposition
L’Église se dissout dans un double mouvement de centralisme autoritaire et d’archipellisation laxiste : là où les conservateurs résistent, on déchaîne contre eux jusqu’à l’arbitraire tout l’appareil d’une autorité qu’ils sont désormais les seuls à respecter – et dont le respect est nécessaire dans l’espérance qu’un jour elle sera bien appliquée ; là où les progressistes s’émancipent, on leur laisse la bride sur le cou en célébrant leurs belles vertus d’imagination et d’autonomie. Tout est sacrifié à cet agenda politique : désespérément “régénérer” l’Église. On croirait un corps atteint d’une de ces mystérieuses et terribles maladies auto-immunes où le système immunitaire s’attaque en fait aux organes sains avec la puissance et la ténacité du dérèglement, faisant fi de tous les équilibres.
Et pourtant l’Église résiste. Évidemment la Providence y met la main. Mais aussi les fidèles, les manants. Dans le monde entier, ils continuent de prier, d’étudier, de servir, envoient leurs fils au séminaire ou forment leurs pairs, dépêchent leurs enfants dans toutes les bonnes œuvres ou ouvrent des séminaires, inventent de nouvelles formes de charité et s’engagent dans les bons combats, multiplient les initiatives et, bien loin d’être cléricaux, réussissent à démontrer parfaitement qu’en effet le cléricalisme est une tare puisqu’ils avancent sans l’aide des évêques tout en respectant leur autorité et en veillant soigneusement à en borner l’exercice.
Le parallèle avec la France, dans le malheur comme dans la résistance, est évident et saisissant. Je crois qu’on peut y puiser l’espoir nécessaire pour croire que la France elle aussi survivra mystérieusement à tous ceux qui l’attaquent et la détruisent. Et nulle doute que la Providence, là aussi, y mettra la main, et en tout cas guidera celles des manants.
[1] . « je suis un peu rusé (un po’furbo) » : entretien accordée en 2013 à La civilta cattolica, version française sur revue-etudes.com.
Illustration : © IPA PRESS ITALY/SIPA