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« Ce qui importe à l’homme de droite conservatrice, ce sont les possibilités de sauver ce qui lui est cher . »

Entretien avec Jérôme Besnard

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« Ce qui importe à l’homme de droite conservatrice, ce sont les possibilités de sauver ce qui lui est cher . »
Politique Magazine. La Droite politique française est-elle conservatrice ?

Jérôme Besnard. La droite française n’a jamais réussi à devenir conservatrice si l’on entend par là la fusion réussie du traditionalisme et du libéralisme telle qu’on la connaît au Royaume-Uni ou en Allemagne. C’est pourquoi on peut parler comme l’a fait François Huguenin, de « conservatisme impossible » dans notre pays. La défaite de François Fillon en est la dernière démonstration. Longtemps autoritaire sous l’influence du bonapartiste, la droite française est dominée depuis les années 1970 par le règne sans partage du libéralisme prôné par Pompidou, Giscard et surtout Chirac.

Marcel de Corte disait : « l’homme de droite est l’homme qui accepte la condition humaine ». L’idée même d’une condition humaine est-elle si évidente ?

Il faut l’entendre dans le sens où l’acceptation de la condition humaine est celle du péché originel. L’homme de droite ne croit pas au sens de l’histoire mais sait surtout que les civilisations sont mortelles. L’homme de droite est en cela le contraire de l’homme prométhéen, qui serait l’homme de gauche. On peut également prendre en considération le concept de « finitude originelle » cher au philosophe Pierre Boutang : l’homme de droite accepte plus facilement d’être le fruit d’une famille et d’une nation. Ce qui importe à l’homme de droite conservatrice, ce sont les possibilités de sauver ce qui lui est cher, ce qui compte pour lui : ses convictions, ses proches, son pays… L’homme de gauche, lui, combat pour des idées, des nuées, des utopies.

William Faulkner disait : « The past is never dead. It’s not even past. » N’avez-vous pas le sentiment que le passé s’efface ? Et que l’ancienne France, comme vous dites, n’est jamais revenue ?

La phrase de Faulkner signifie plutôt que les vivants sont gouvernés par les morts, comme le faisait remarquer avec justesse Auguste Comte. Effectivement l’ancienne France n’est jamais revenue. Ni celle de 1789 sur un plan politique, ni celle de 1950 sur un plan sociologique. Entre 1950 et 1980, la France a connu la fin d’un monde paysan plurimillénaire, comme l’a bien montré Patrick Buisson dans son film Les derniers Gaulois. Et ce n’est pas fini, puisque désormais la France entre dans une ère où le catholicisme qui l’a largement fondée, en concurrence avec l’œuvre politique de la monarchie capétienne, est lui-même évacué. Dans le même temps, les Français ne se sont jamais autant passionnés pour leur patrimoine. Le Puy-du-Fou concurrence heureusement Disneyland Paris !

Quels sont, aujourd’hui, les tenants d’un catholicisme social ?

Le catholicisme social est le fruit des réflexions des légitimistes français de la période 1820-1880 mais aussi de prélats suisses, bavarois ou autrichiens. Il s’est ensuite divisé entre démocrates-chrétiens et monarchistes. Ces deux familles politiques sont aujourd’hui très affaiblies mais leurs héritiers ont des vitrines diverses : Sens Commun, le PCD, le MPF, l’Action française…

Jacques Ellul disait : « l’État n’est plus un centre politique, ni un centre de décision autonome mais une structure administrative ». N’est-il pas aussi devenu un centre de conformation morale ?

Est-ce l’État qui produit une morale officielle ou plutôt les grands médias et l’Éducation nationale, fortement étatisée il est vrai, me direz-vous ? L’État est par principe neutre si on le considère comme une instance. Il n’est qu’accessoirement un producteur de substance, pour reprendre une distinction schmittienne. L’affaiblissement de l’État, sa dépolitisation, vont de pair avec l’irruption d’un conformisme moral imposé par le progressisme et la marchandisation du monde.

Dominique de Villepin disait : « Et c’est un vieux pays, la France, […] Un pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs. Et qui pourtant n’a cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur. » Pourrait-on remplacer ‘France’ par ‘Droite’ ?

Effectivement, remplacer la France ou le pays par la ‘droite’ donne une toute autre connotation à la droite que celle imposée par la plupart des grands médias au travers de ce que l’on a appelé le terrorisme intellectuel qui refuse le débat en caricaturant l’adversaire sans permettre la réciprocité. On pourrait aussi effectuer ce petit changement dans le discours du général de Gaulle du 4 juin 1958 : « combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux la France ! » La droite, à condition de refuser le dogme néolibéral, peut tout à fait être généreuse socialement et ouverte sur le monde, dans un dialogue avec les autres nations. elle sait pardonner aux hommes, mais doit rester intransigeante sur les idées. Vaste programme…

Quel(le)s gestes peuvent nourrir, aujourd’hui, l’imaginaire de la droite française ?

Vous les connaissez aussi bien que moi : le baptême de Clovis, les cathédrales, Jeanne d’Arc, la chouannerie, la France Libre… Tout ce qui relève du cri d’Antigone face à Créon. Le travail est à l’œuvre auprès du grand public grâce à des outils comme le Puy-du-Fou, la chaîne Histoire, les émissions télévisées de Stéphane Bern, les livres de Lorànt Deutsch.

L’épisode Fillon, dans la perspective de 2019, est-il une occasion manquée ou une tragédie ?

C’est une occasion manquée. Fillon, si l’on met de côté ses affaires personnelles, a payé les pots cassés de l’épuisement de la droite après les épisodes Chirac et Sarkozy. Le « dégagisme » a fait son œuvre. Si Nicolas Sarkozy avait plus écouté Patrick Buisson, on n’en serait évidemment pas là. Mais si la droite française n’arrive pas à se rénover avec Laurent Wauquiez ou quelqu’un d’autre, cela peut se terminer en tragédie…

La Droite française trouve-t-elle, dans les partis, de quoi satisfaire son goût de l’ordre et des libertés ?

La droite a longtemps été très rétive aux partis politiques. Elle n’a su dépasser ses réticences qu’avec le PSF du colonel de La Roque à la veille de 1940 et avec les partis gaullistes (RPF, UNR, UDR voire RPR) après 1945. Si le général de Gaulle mentionne les partis politiques dans la constitution, c’est à la demande expresse d’Antoine Pinay. Sans chefs et sans idées cohérentes, difficile d’attirer qui que ce soit dans une boutique partisane. Elles ne fonctionnent qu’avec un minimum de transcendance. Pour autant, la fin des partis politiques est inquiétante en ce qu’elle s’accompagne de la fin d’une sociabilité politique au profit d’une société toujours plus anomiée et individualiste.

Le comte de Chambord, dans son manifeste du 5 juillet 1871, disait : « Ensemble et quand vous voudrez, nous reprendrons le grand mouvement de 89. » Qu’est-ce que 1789 peut apporter à 2019 ?

Le grand mouvement de 1789 qu’évoque le comte de Chambord, c’est la volonté populaire d’un retour aux libertés. La France de 2019 est complètement corsetée : il faut libérer l’enseignement, arrêter le matraquage fiscal des familles, favoriser la transmission et lutter contre l’insécurité… Comme en 1789, le pays aspire à un grand coup de balai, encore faut-il qu’il se réalise sur un registre de fraternisation et de réconciliation (comme la fête de la Fédération en 1790) et qu’il évite de déboucher sur un néo-robespierrisme…

Jérôme Besnard vient de publier La droite imaginaire aux éditions du Cerf (216 pages, 18 euros).

Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard

Le comte de Chambord

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