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L’essai du mois

L’Action Française : de la France d’abord à la France seule

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L’essai du mois

Historien, universitaire, spécialiste de civilisation allemande, directeur de plusieurs ouvrages consacrés à L’Action Française, la révolution conservatrice allemande et au national-socialisme, Michel Grunewald donne un essai qui va faire date. Il défend une thèse pertinente, appuyée sur l’étude approfondie de l’ensemble des sources : loin d’avoir été collaborationniste, l’Action Française fut bien sûr pétainiste durant la guerre mais dans le prolongement de ses positions d’avant-guerre, opposée au germanisme, à l’hitlérisme et à un national-socialisme qu’elle identifia comme un expansionnisme. Maurras, Bainville, Daudet ou Delebecque gardaient leur ligne de crête : la France d’abord, face à une Allemagne perçue comme son principal ennemi géopolitique. Une Allemagne où la prise de pouvoir par Hitler et les nazis n’était pas assimilable, de leur point de vue, au parcours du fascisme et de Mussolini en Italie, mais à l’expression même de l’âme germanique. Une analyse élaborée dès avant 1900 par Maurras et répercutée ensuite, en particulier avant et après la Grande Guerre. Pour Maurras, le national-socialisme ne pouvait être envisagé comme un allié ou quoi que ce soit de cette sorte puisqu’il était l’aboutissement du nationalisme allemand théorisé par Fichte, un nationalisme étudié de près par le Martégal, au point d’appeler non à en appliquer les principes à la France mais à la vigueur – dans le but d’être en capacité de s’opposer aux velléités allemandes d’emprise européenne.

 

De ce fait, l’engagement d’une partie de l’Action Française et de Maurras derrière le maréchal Pétain et en faveur de la collaboration, celle de Montoire, s’explique par la volonté de maintenir une place pour la France dans l’immédiat, et une véritable existence ensuite. Michel Grunewald montre avec clarté et de façon convaincante que ce choix assumé du maréchal Pétain comme chef était logique aussi bien pour le mouvement monarchiste que pour une majorité des Français d’alors. L’assimilation des différentes formes de collaboration, à la mode dans une société où l’on préfère se presser plutôt que de prendre le temps d’analyser et de penser, conduit parfois à écrire ici ou là, par exemple dans nombre de manuels d’histoire-géographie du secondaire, ou à dire sur les plateaux de télévision, que l’Action Française était un mouvement « d’extrême droite » (formulation déjà bien discutable, sauf à user de pseudo-« concepts » flous et militants contemporains), ou pire à la confondre avec un succédané du national-socialisme – au point d’exclure la figure intellectuelle pourtant fondamentale de Maurras des commémorations officielles.

 

Avec le livre de Grunewald, cette présentation militante propagée dans la foulée du procès intenté à Maurras pour « intelligence avec l’ennemi », autrement dit pour haute trahison en faveur de l’Allemagne, ce qui est un comble le concernant, s’écroule comme un château de cartes. La seule préoccupation de Maurras et de ses amis et collaborateurs de l’Action Française fut de maintenir l’existence de « la France éternelle », cette « France d’abord » mais vaincue, devenue « la France seule ». Cette même France que Maurras voyait en la figure du maréchal Pétain. Cette position ancienne, qui n’a pas varié face au national-socialisme et à l’occupation, sans doute est-ce là l’erreur d’analyse de Maurras, a été accentuée par le maintien de conceptions antisémites issues elles aussi du XIXe siècle mais qui, dans le contexte de l’antisémitisme racial nazi, ne pouvaient être comprises autrement que comme une forme d’acceptation de ce dernier. C’est à une meilleure compréhension de ce pan important de notre histoire récente que contribue ce livre, et il le fait très bien, donnant du reste la mesure de la désinformation régnant en France au sujet du mouvement monarchiste du « nationalisme intégral ».

Par Matthieu Baumier

Michel Grunewald, De la « France d’abord » à la « France seule ». L’Action Française face au national-socialisme et au Troisième Reich, Pierre-Guillaume de Roux, 2019, 350 p., 27 €

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