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La densité de l’existence

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La densité de l’existence

Tous les hommes ne sont pas satisfaits. Certains ressentent avec acuité que l’existence ne peut se borner aux conditions matérielles, qu’il y a autre chose, que sans doute leur vie, la vie, a un sens, dissimulé et fugace. Laurent Dandrieu, fraternel et perspicace, éprouve sans doute ce sentiment puisqu’il le traque à merveille chez Sempé ou Montaigne, Vialatte et Sureau, et quelques autres, qui forment une confrérie d’intranquilles dont les œuvres recèlent, tapi en leur cœur, « le sentiment d’une incomplétude, d’une sorte de vertige existentiel qui les pousse à traverser les apparences de ce monde et de sa réalité mouvante et incertaine pour atteindre, par la puissance des mots, une vérité supérieure. » Voici donc une série d’études littéraires, d’approches sensibles d’œuvres qui tentent de cerner le mystère, avec délicatesse, avec ironie, avec amertume, à grand fracas ou à petits murmures : Anouilh et Chardonne, quoi de plus éloigné mais aussi quoi de plus proche, l’un exaspéré, l’autre faussement bonhomme, tous deux scrutant l’amour, indispensable et incompréhensible, paradis impossible à leur nature ? Tous cherchent. Cela ira de la stupéfaction inquiète, tournant court, à l’affirmation apaisée que Dieu, la France et le Roi donnent sans doute forme à tout ça : on sent que Jacques Perret et Drieu la Rochelle sont sans doute cousins mais pas frères et que Sempé et Cioran n’accueillent pas l’absurde avec la même tendresse ni le même amusement. Tous pourtant partagent une méthode, considérer le réel, le plus proche comme le plus lointain, et une conviction : la littérature nous éclaire sur la vie. Laurent Dandrieu, qui est critique de cinéma par ailleurs, met toujours en avant dans les films cette dimension morale de nos existences que la vie, confuse, nous dérobe mais que l’œuvre d’art nous révèle. L’art donne une forme identifiable à la vie. Cette quête du sens qu’on a pressenti mais qui se refuse, ce sentiment d’une formidable unité sous-jacente qui rassemble le papillon et la daube, l’imparfait du subjonctif et les pâquerettes, la civilisation et la nature, le passé et l’avenir, tous ces écrivains la mènent avec passion. Ils pressentent l’ordre, ils ne voient que le désordre, ils ne s’y résignent pas, ils s’énervent contre leur contemporains, ils pestent contre eux-mêmes, déchirés entre le confort et la tristesse. Certains en conçoivent un vif dépit, d’autres, rares, finissent par aborder au rives de la tranquillité, tous le racontent, en romans ou en chroniques. Si l’on croise Barrès et Montaigne au fil des pages, on a aussi la chance d’entendre parler, avec finesse et enthousiasme, d’auteurs vivants, comme Michel Bernard et François Sureau, ou à peine disparus – de ce siècle sinon des étals… –, comme Henri-Michel Gautier. Et comme Laurent Dandrieu est généreux en citations, laissons à Guy Dupré le mot de la fin, qui résume si bien le sentiment exploré au fil des pages : « Dans le bleu des soirs d’Île-de-France pareil au bleu de Prusse des matins d’exécution, je chercherais longtemps encore le secret de la conduite qui permet de lier la douceur sans quoi la vie est peu de chose à l’honneur sans quoi la vie n’est rien. »

Laurent Dandrieu, La Confrérie des intranquilles. Éd. de L’Homme Nouveau, 2020, 204 p., 20 €.

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