Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Où l’on comprend que l’État et les services publics ne sont pas à la hauteur. Entretien avec le libraire Alexis Chevalier
– Que voulez-vous que je vous dise ? Il y a quelques jours, je me suis pris à penser du bien de plusieurs de nos ministres. J’ai pensé que Gérald Darmanin était courageux d’aller à Tunis pour négocier le rapatriement des fichés S, et je me suis dit qu’on avait de la chance d’avoir une ministre de la Culture intelligente qui répondait enfin à une des plus vieilles revendications des librairies sur la question des tarifs postaux…
– Pour ce qui est du ministre de l’Intérieur je ne sais pas encore, mais si c’est du même tonneau que ce que Roselyne Bachelot a finalement décidé pour les librairies, ce sera encore un coup pour rien…
– Pas nous, semble-t-il, seulement les petites librairies qui font l’essentiel de leur chiffre d’affaires dans le livre neuf… Et avec un système très administratif de remboursement… Nous sommes certes une très petite librairie, mais nous sommes spécialisés dans le commerce de livres d’occasion, ainsi que nos quatre confrères installés 500 mètres tout autour de nous. Notre boutique est fermée dans un quartier lui-même déserté par ses habitants et ses étudiants. Nous essayons de faire de la vente par correspondance, et voilà que nos confrères du neuf obtiennent un avantage et pas nous… Cela s’ajoute à bien des raisons d’énervement…
– Nous avons tous reçu ces jours-ci le questionnaire de l’équipe municipale récemment réélue à Paris, qui nous demande lourdement (les questions sont tournées de telle manière que si on dit non, on apparaît comme un méchant) de nous prononcer en faveur du développement des boîtes d’échange de livres en libre-service sur le trottoir et de nous prononcer aussi pour la suppression de places de parking au bénéfice des vélos (alors que je ne fais jamais un déplacement sans au moins 4 ou 5 caisses de livres bien remplies dans mon coffre car, vu le prix du mètre carré à Paris, nos stocks sont évidemment en banlieue…).
Nous sommes fermés puisque c’est obligatoire et même si nous entrouvrons un peu pour faire du “clique et rapplique”, il n’y a personne dans les rues et notre clientèle n’est pas une clientèle de quartier, mais une clientèle qui vient (ou plutôt qui venait, car c’était avant les samedis Gilets jaunes et les grèves des transports de décembre dernier) au Quartier latin pour acheter des livres. Donc oui, une mesure nous permettant d’alléger nos frais postaux aurait été utile. Mais nous en sommes exclus. D’ailleurs la mesure annoncée relève du « C’est gratuit, c’est l’État qui paye », c’est une mesure “socialiste”, je veux dire démagogique, qui ne durera que peu de temps, le temps du confinement, le temps que la justice s’en mêle car c’est évidemment contraire à toutes les lois libérales et européennes de la concurrence.
– C’est une question complexe. C’est surtout La Poste qui nous tue. Depuis des années, elle augmente ses tarifs publics sans proportion avec l’inflation pour compenser le fait que le courrier est en perte de vitesse. Je remarque par ailleurs qu’on la voit multiplier les investissements, un peu comme faisaient Charbonnages de France lors de leur très coûteuse agonie. Des investissements qui tombent le plus souvent à plat, mal conçus, mal expliqués à des personnels bien souvent mal embouchés comme nous ne le savons que trop… En revanche, elle discute avec les gros expéditeurs, leur concède des tarifs négociés extrêmement favorables. Et elle est impitoyable avec les petits.
– Si vous voulez poster un livre au moindre prix de La Poste, du moins en France, il faut mettre le livre dans une enveloppe que vous timbrerez au tarif « Lettre verte », voire courrier urgent, c’est-à-dire normal. Il y a possibilité d’envoyer du courrier assez lourd. En revanche le paquet ne doit pas faire plus de 3 cm de haut. Cela a été fait pour empêcher qu’on expédie des livres souvent plus épais. Et il est interdit de mettre un livre dans une enveloppe courrier. Un inspecteur des postes m’a téléphoné un jour pour me le rappeler. Le principe du secret de la correspondance interdit à la Poste de regarder ce qu’il y a dans l’enveloppe, mais comme la mécanisation s’accompagne d’un pourcentage non-négligeable d’enveloppes déchirées, vous pouvez vite vous retrouver en faute. Vous devez vous rabattre sur un tarif colis. Chacun le connaît. Cela va bien pour la grand-mère qui envoie une fois ou l’autre un cadeau ou autre chose, mais pour expédier chaque jour professionnellement des livres, c’est d’un prix déraisonnable. Pendant ce temps-là, les éditeurs qui ont beaucoup de services de presse, par exemple, et les entreprises importantes de vente par correspondance ont trouvé le moyen, avec La Poste (dont Amazon est un bon client) ou avec ses concurrents, de payer trois ou quatre fois moins cher que nous. C’est pourquoi lorsque Roselyne Bachelot a annoncé un « tarif trois à quatre fois moins cher pour les petites librairies », je me suis pris à espérer un rétablissement d’une concurrence normale entre les gros et les petits. Eh bien ce n’est pas ce qui a été décidé, et nous nous retrouvons Gros-Jean comme devant…
– Je vais vous surprendre, mais il y a deux parties dans Amazon. Celle des centres de logistique, où les fournisseurs et les personnels sont traités encore plus durement que par les supermarchés. La voie leur a justement été montrée par les créateurs de supermarchés, qui trouvent maintenant leur maître… Mais il y a aussi une « market place », un espace de vente ouvert aux indépendants, également géré très durement, mais vers lequel les clients, qui sont de nature grégaire, vont de toute manière. Alors si nous n’avions pas cette petite place sur Amazon, nous serions morts aujourd’hui car les services alternatifs sont boudés par les clients, c’est malheureux, mais c’est comme ça. Les gens ont pesté contre la disparition des petits commerçants, mais ils se sont rués en masse dans les supermarchés. Ils pestent contre Amazon, mais c’est là que nos contemporains regardent et comparent tout et achètent. Ils photographient un livre dans notre vitrine, entrent pour nous demander si c’est un bon livre, et puis ils le commandent sur Amazon… Nous ne sommes pas à la tête du gouvernement français, ni de l’UE, et nous n’y pouvons rien. La Chine a réagi en créant un contre-Amazon… Mais à notre niveau, il faut bien le dire, Amazon tolère encore que nous puissions travailler. Ce qui nous est de plus en plus interdit par les bonnes âmes qui nous gouvernent, nous taxent, nous réglementent… Alors Amazon, dans les circonstances présentes, il ne faut peut-être pas en dire trop de mal.
– Pas encore, parce qu’il y a quelques dizaines de clients qui se signalent par un soutien généreux et amical, parce qu’il y a encore des choses que seul un vrai libraire peut dire ou faire et que nous avons ici cette compétence rare. Merci, merci à tous ceux qui feront le moindre geste pour nous permettre de passer encore une fois un cap très difficile pour nous comme pour tant de Français rejetés aux limites extérieures du système.
La librairie Gay-Lussac est animée par Frédéric Aimard et Alexis Chevalier. Celui-ci a adjoint au fonds asiatique initial, qui demeure l’un des plus importants de Paris, le fonds « Le Pélican noir » (Histoire et Littérature XIXe et XXe siècles) et, avec le concours de Patrick Charton, le fonds « La Bibliothèque merveilleuse » (petite bibliophilie et illustrés) auparavant présentés au Marché Brassens (75015) et sur divers Salons.
La librairie est ouverte tous les jours de 12 h 30 à 19 h 30 sauf dimanche et fêtes et quand l’État exige qu’elle ferme. Environ 50 000 ouvrages, que vous pouvez commander en allant là : www.librairiegaylussac.fr.