Lors d’une émission de télévision mémorable animée par Bernard Pivot, Serge Gainsbourg s’affrontait à Guy Béart. Le Dandy sulfureux rétorquait au chanteur poète Guy Béart : « la chanson est un art mineur en comparaison avec l’art de la peinture ».
Certes ! Mais force est de constater que la télévision aujourd’hui nous catapulte des espoirs de la chanson, parfois sans aucun talent mais surtout sans aucune formation solide et qui sont rapidement expulsés de la Toile.
Car ceux qui ont marqué la Chanson, dans tous ses genres, qu’ils soient fils de pauvres, d’immigrés ou de bourgeois, ont tous baigné dès leur enfance dans un univers artistique de par leur famille ou leurs rencontres avec des maîtres. Or pour réaliser une carrière dans cet art mineur mais non méprisable, bien s’en faut, il faut, pour s’imposer et durer, une solide formation, un apprentissage auprès d’artistes de qualité et surtout un travail acharné et continu.
On pourra découvrir dans la liste non exhaustive qui suit, des exemples frappants et même parfois surprenants.
Charles Trenet. Sa mère joue du piano et elle l’initie aux œuvres de George Gershwin. Il découvre le théâtre, la poésie grâce à Albert Bausil, poète de Perpignan. Il s’installe momentanément à Berlin, fréquente une école d’art et rencontre Kurt Weill et Fritz Lang.
Léo Ferré. Il intègre la chorale de la maîtrise de la cathédrale de Monaco comme soprano. Il découvre la polyphonie au contact des œuvres de Palestrina et de Tomás Luis de Victoria. Il est guidé par son oncle, Albert Scotto, ancien violoniste dans l’orchestre de Monte-Carlo qui lui fait découvrir le chanteur basse Fédor Chaliapine, et le chef d’Orchestre Arturo Toscanini. Envoyé par son père dans un pensionnat tenu par les Frères des Écoles chrétiennes, en Italie il y apprendra le solfège et joua du piston dans l’harmonie. Déjà à quatorze ans, il composait le Kyrie d’une messe à trois voix et une mélodie sur le poème « Soleils couchants » de Verlaine. Il écrivit aussi un livret pour présenter le concours Verdi à La Scala de Milan.
Georges Brassens. Il est pris en charge par Alphonse Bonnafé, professeur de français et de philosophie, qui l’intéressa à la technique de la versification et lui fit découvrir les poésies de Rimbaud, Valéry, Mallarmé, et Charles Baudelaire.
Jacques Brel. À 16 ans, il créa une troupe de théâtre avec des amis et écrivit lui-même des pièces qu’il joua en amateur au sein de la Franche Cordée (mouvement de jeunesse catholique). Il était amateur de musique classique et appréciait plus que tout, Maurice Ravel et Franz Schubert.
Gilbert Bécaud. Il suit une formation classique au conservatoire de Nice. Dès 1940, il compose des musiques de films et devient pianiste accompagnateur de la chanteuse Marie Bizet.
Charles Aznavour. Son père, Micha Aznavourian était un ancien baryton. Avec sa femme, une comédienne, ils élèvent leurs deux enfants dans un univers artistique.Leur fille aînée Aïda, joue du piano. Il est inscrit à l’École des enfants du spectacle (le Collège Rognoni) pour devenir acteur.
Claude Nougaro. Il est le fils de Pierre Nougaro, chanteur d’opéra, premier baryton à l’Opéra de Paris, et de Liette Tellini, professeur de piano qui avait obtenu un premier prix de piano au Conservatoire.
Guy Béart. Il suit des études secondaires au Liban, puis obtient son baccalauréat français en mathématiques élémentaires au collège international de Beyrouth. Une fois de retour à Paris, il s’inscrit à l’École nationale de musique et pratique de nombreux instruments dont le violon et la mandoline.
Pierre Perret. À quatorze ans, il intègre le conservatoire de musique de Toulouse et s’inscrit aussi au conservatoire d’art dramatique. Il obtiendra à 19 ans un premier prix de saxophone Il rencontre l’écrivain Paul Léautaud et ne cessera de le fréquenter jusqu’à la mort de ce dernier en 1956.
Serge Gainsbourg. Son père, Joseph Ginsburg, entra au Conservatoire de Petrograd, puis à celui de Moscou pour étudier la musique : il choisit le piano. En Crimée, il épousa Brucha Goda Besman, une mezzo-soprano. Joseph apprit à son jeune fils le piano classique et le poussa vers le monde de la peinture. Après la guerre Serge s’inscrit aux Beaux-Arts, et fréquente l’Académie de Montmartre où ses professeurs de peinture sont André Lhote et Fernand Léger.
Serge Lama. Il est le fils unique de Georges Chauvier, chanteur d’opérette qui avait obtenu le Premier prix du conservatoire de Bordeaux. Son enfance est baignée par les airs du répertoire lyrique et les chants de Luis Mariano.
Claude François. Ses deux oncles maternels sont l’un violoniste et l’autre pianiste. Inscrit au lycée français du Caire, il suit une première année de violon. En 1958, il trouve un emploi dans le grand orchestre du Sporting Club de Monte Carlo, dirigé à l’époque par Louis Frosio. Parallèlement, il s’inscrit à l’Académie nationale de musique dans toutes les classes instrumentales, clarinette, flûte, timbales, percussions, et s’initie à l’harmonie et au chant classique.
Johnny (Jean-Philippe Smet). Son père, Léon Smet, avait appris le chant et l’art dramatique au conservatoire de Bruxelles et avait rejoint la troupe du ballet du théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Après avoir été abandonné par son père, le jeune Jean-Philippe Smet est pris en charge par son oncle, qui appartenait à un trio de danse acrobatique qui se faisait appeler « Les Halliday’s ». Il est inscrit à l’école des enfants du spectacle, où il suit des cours de danse classique et au Centre d’art dramatique de la rue Blanche. Par la suite, il apprend le violon et suit à Genève des cours de guitare avec le maître José de Azpiazu, compositeur d’un grand nombre de pièces et d’études.
Eddy Mitchell (Claude Moine). À onze ans, il découvre le rock ‘n’ roll, mais son père ne fait rien pour l’encourager dans ce domaine, toutefois, il lui transmet sa passion pour le cinéma où il vont deux fois par semaine durant l’après-midi.
Dick Rivers (Hervé Forneri). En 1961, âgé de quinze ans, il fonde à Nice le groupe Les Chats Sauvages, avec Jean-Claude et Gérard Roboly qui l’aidèrent à se former. Ces deux musiciens avaient travaillé avec Bernard Arcadio qui était un artiste éclectique qui avait commencé ses études musicales au conservatoire de Nice puis au Conservatoire national de Paris, au Conservatoire national d’Aix-en-Provence (musique de chambre) et enfin à l’université de Las Vegas, en orchestration.
Jacques Dutronc. Son père ingénieur est un pianiste amateur qui l’initie à la musique. Il prend rapidement des cours de piano et de violon.
Michel Sardou. Pur « enfant de la balle », est le petit-fils de Valentin Sardou. Ses grands-parents paternels étaient comiques de scène à Marseille et sa grand-mère maternelle était danseuse. Sa mère, Jackie Sardou était danseuse et comédienne et son père, Fernand Sardou, chanteur et comédien. Il apprit son métier auprès de ses parents et passa son enfance à les suivre dans les cabarets parisiens, et à participer à leurs tournées. Par la suite il prend des cours de théâtre chez Raymond Girard puis chez Yves Furet.
Sheila (Annie Chancel). Dès l’âge de huit ans elle est une passionnée de musique, le chant, et danse. Elle débute par l’apprentissage du piano et du solfège. Elle suit sérieusement des cours de danse classique et présente le concours pour entrer à l’Opéra national de Paris, mais elle est trop grande pour son âge.
Catherine Lara. Elle étudie le violon dès l’âge de cinq ans. Elle obtient le 1er prix du Conservatoire de Versailles en 1958, puis le 2eme prix de violon au Conservatoire National de Paris en 1965, ainsi que le 1er prix de musique de chambre l’année suivante.
Mireille Mathieu. Son père était un chanteur baryton, amateur d’opéra. Elle décida de devenir chanteuse après avoir découvert les chansons d’Édith Piaf. Johnny Starck, son mentor et imprésario fit le reste… et lui inculqua le sens du travail acharné.
Sylvie Vartan. Elle fut formée et très influencée par son frère Eddie Vartan, qui était un musicien auteur-compositeur-interprète et chef d’orchestre. Il a composé de nombreuses chansons à succès ainsi que plusieurs musiques de films.
France Gall. Son père, Robert Gall était un ancien élève du conservatoire, et auteur des Amants merveilleux pour Édith Piaf (1960) et de La Mamma pour Charles Aznavour (1963). Sa mère, Cécile Berthier, est la fille de Paul Berthier (1884-1953), cofondateur de la Manécanterie des Petits Chanteurs à la croix de bois. Nièce de Jacques Berthier, compositeur et organiste, cousine du guitariste Denys Lable, de Vincent Berthier de Lioncourt, fondateur, en 1987, du Centre de musique baroque de Versailles. Elle commenca le piano à cinq ans, puis la guitare vers onze ans.
Michel Berger. Après des études de philosophie, il obtint sa maîtrise avec l’Esthétique de la pop musique comportant une étude comparative des deux derniers albums de Jimi Hendrix. Il était aussi le fils de la concertiste Annette Haas, élève de Marguerite Long au conservatoire, et aussi soliste des Concerts Colonne et des Concerts Pasdeloup. Elle était connue pour ses interprétations de Mozart, Chopin et Mendelssohn.
Véronique Sanson. Ses parents étaient mélomanes et l’inscrivirent à des cours de piano, dès son plus jeune âge.
Claude MC Solaar. Chanteur et compositeur de Rap, il est connu pour la qualité de ses textes, talent rare dans ce type de musique. Il a été l’élève de la prestigieuse Ecole Française du Caire.
Jean-Jacques Goldman. Il rejoint son frère cadet Robert auteur-compositeur, au groupe parisien des Éclaireuses Éclaireurs de France, association laïque du scoutisme français. Il prend des cours de piano puis de violon et est passionné par la guitare. Il entre à à quatorze ans, dans la chorale des « chanteurs de gospel de Montrouge », formation musicale de la Paroisse. Son premier disque est auto-produit par le père Dufourmantelle, prêtre et directeur de la chorale.
Florent Pagny. Il suit des cours de théâtre et fréquente le conservatoire de Levallois-Perret durant trois ans où il apprend les bases du chant classique et travaille sa voix de baryton-martin parfois appelé le baryton léger. Il renonce à se présenter au Conservatoire national pour devenir chanteur d’opéra, préférant s’orienter vers une carrière pop française.
Barbara (Monique Serf). Ses parents l’inscrivent au cours de chant de Mme Dusséqué, qui la présente à Maître Paulet. Elle entre au Conservatoire comme auditrice et découvre le répertoire de chant classique. Elle arrête les cours pour se consacrer à la chanson populaire. Après un séjour en Belgique, elle rencontre Ethery Rouchadze, pianiste géorgienne qui accepte de l’accompagner et auprès de qui elle se perfectionnera au piano
Patrick Bruel. Désirant se consacrer au théâtre, il obtient une place de gentil organisateur (animateur) au Club Méditerranée. Il fera donc son apprentissage sur scène et l’on sait que l’école du Club a permis à de nombreux acteurs et artistes de cabaret de se révéler.
Françoise Hardy. Après avoir appris la guitare par elle-même, elle s’inscrit au Petit Conservatoire de la chanson de Mireille et y restera deux ans, en bénéficiant d’un enseignement rigoureux.
Si vous vous destinez à une carrière dans la Variété, ne vous faites pas abuser par les feux illusoires que projettent sur vous de façon éphémère, les producteurs de la Télé, ces anthropophages prédateurs apparentés aux Goules et Stryges ! Rien ne remplacera l’enseignement des Maîtres et le travail incessant pour atteindre l’inaccessible Etoile de la Chanson.