Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

Une noblesse en naufrage

Facebook Twitter Email Imprimer

Une noblesse en naufrage

Fadi El Hage est un jeune historien de valeur. Quand on lui demande d’ailleurs si son livre Le sabordage de la Noblesse est un travail de circonstance, il récrimine : tout fut écrit en 2017. C’est sans doute ce qui rend le parallèle encore plus saisissant entre la faillite des gentilshommes, de la fin du règne de Louis XIV à l’abolition révolutionnaire de la noblesse, et le comportement des prétendues élites françaises actuelles.

L’ouvrage commence sur une interrogation fondamentale : pourquoi la noblesse, qui n’en était pas à sa première crise, ne parvint-elle pas à surmonter la perte de sens qui l’affligea au XVIIIe siècle ? Profond, Fadi El Hage accepte d’explorer la diversité des causes. Ainsi, la régence de Philippe d’Orléans à la mort de Louis XIV fit plusieurs erreurs en réduisant la participation au pouvoir des roturiers ou de la petite noblesse. Déjà accusé de penchants despotiques par certains contemporains, le règne de Louis XIV fut critiqué dans son héritage notamment pour l’utilité de ses conquêtes septentrionales et l’asservissement de la noblesse de Cour.

Louis XV, qui chercha à ménager des moments d’intimité avec ses proches, se distingua par trop de l’étiquette permanente à laquelle Louis XIV s’était astreinte et oublia maladroitement ses fonctions thaumaturgiques. À cet exemple de distance vis-à-vis de la fonction, l’auteur pense que les aristocrates répondirent par des abandons trop fréquents à la débauche ou aux excès. Il souligne combien la diffusion toujours plus efficace des rumeurs et leur obsession sexuelle allait emporter la perte de l’image publique des Grands. Et Fadi El Hage de remarquer que le chevalier des Grieux est certainement enthousiasmant pour les romantiques mais que ses amours juvéniles avec Manon Lescaut ne sont pas édifiantes pour la société.

Alors même que le sentiment de décadence s’emparait de bien des familles devant la multiplication des affaires, la réponse du pouvoir fut une erreur. On réduisit les possibilités d’ascension par le mérite et l’on continua dans les travers qui expliquèrent aussi le déclin démographique de la noblesse : consanguinité, absence de procréation entre époux légitimes, importance de l’homosexualité. Et Fadi El Hage de montrer combien des mémoires ou des souvenirs d’aristocrates du siècle venaient se conformer à tant d’ouvrages critiques (les intrigues du comte de Maillebois, les frasques du fils du maréchal de Villars, la faillite du marquis d’Argens). « Numériquement faible mais hautement visible par la médiatisation de la Cour », délaissant les armées ou n’y voyant qu’un épisode entre les délassements, la noblesse fut prise au piège dont elle avait trop tôt accusé Louis XIV : enchaînée aux apparences, elle cessa de pouvoir ou de vouloir assumer sa vocation sociale.

Fadi El Hage laisse intelligemment la réponse ouverte. Nous ne saurons jamais vraiment quelle torpeur s’empara des gentilshommes : laissèrent-ils aller des troubles dont ils espéraient qu’ils les purifieraient de leurs errements du siècle ou subirent-ils simplement une révolution qu’ils ne pouvaient anticiper du fait de leur affaiblissement ? En tout cas, la chronologie des chutes prouve utilement que, bien loin d’un gouvernement personnel, la monarchie est une pratique organique du pouvoir, dont l’ensemble s’affaisse quand une partie est malade.

Par Charles de Geai
Fadi El Hage, Le sabordage de la noblesse, Passés composés, 2019, 22 €.

 

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés