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Un beau livre

La beauté dure toujours d’Alexis Jenni (éd. Gallimard) est un beau livre. Qu’est-ce qu’un beau livre ? Autre chose qu’un bon livre.

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Un beau livre

Le bon livre éveille l’intelligence, touche le cœur ; le beau livre emporte, fait battre les ailes de l’âme. Un beau livre est écrit par un écrivain d’une belle humanité, mais surtout qui est un maître de la langue. Savoir raconter une histoire est un talent louable, mais sans la maîtrise de la langue, ce n’est rien. Et je parle de maîtrise dans le vieux sens de ce mot : la qualité de l’artisan bien formé, qui possède son métier. Et je parle de la langue dans le sens sacré de ce mot, qui veut dire que la langue exprime, mais aussi qu’elle fait exister ce qu’elle exprime, à l’image du Verbe créateur. Car il faut mettre les choses à leur rang, rétablir les hiérarchies, afin de savoir ce qu’on dit et ce qu’on fait.

Au commencement est un défi : écrire une histoire d’amour qui ne finit pas, alors que les romanciers écrivent des fausses histoires d’amour, qui finissent, et mal. Parce que si l’amour est fort comme la mort, il est clair qu’il ne peut pas finir. Bien sûr, l’éditeur n’est pas content : il veut un livre qui se vende, il se fiche pas mal des idées de l’auteur ; lui, il est chef d’entreprise, pas chercheur de vérité. Tant pis, l’auteur est une tête de mule, il fera ce qu’il veut.

Qu’est-ce que l’amour ?

Si toutes les histoires d’amour finissent, c’est qu’on ne s’est pas posé le vrai problème : qu’est-ce que l’amour ? Et faute de cela, on raconte n’importe quoi, au mieux les erreurs au sujet de l’amour. Pour savoir ce qu’est l’amour, il faut revenir au début. Le héros s’appellera donc Noé, et il sera dessinateur, parce que l’homme apparaît quand il dessine des mains sur les parois des grottes, on en a déjà parlé. Noé dessine des trucs intellos, il pense. Bref, c’est un sot. Il se croit heureux parce qu’il a un ami galeriste, Karim, qui le vend. Mais il ne sait pas ce qu’est le bonheur. Il faut qu’il le rencontre. Elle s’appelle Felice. En latin « felix », c’est le bonheur. Mais il faut que le bonheur soit une femme, tirée du côté de l’homme (vous vous souvenez de l’histoire). Parce qu’un homme, ça regarde les femmes, le corps des femmes, tout le corps, et ça s’extasie : celle-ci est vraiment la chair de ma chair et les os de mes os. La chair et l’os. Quand on est dessinateur et qu’on voit une femme séduisante, on veut la dessiner. Alors, on comprend que la main n’est pas faite pour dessiner les lignes et les symboles où l’esprit se complaît, mais pour dessiner le corps, les jambes, le cul, les seins, et puis le visage, des visages. Dessiner comme une caresse autour de l’objet, dessiner en prémices aux véritables caresses, qui sont incarnation et vie rédimée. Noé sortant de l’arche découvre les visages, les corps et les visages, puis la double fonction de ses mains.

De son côté, Felice, qui est avocate et mal mariée, en se sauvant dans l’arche des bras de Noé, va découvrir, au lieu des mots dont elle vit, le corps dont elle a besoin. Un corps magnifique, qui sent la vie, qui la pénètre et la fait éclater comme un feu d’artifice. Tout cela est raconté comme si on était dans le Cantique des cantiques. C’est magnifique. Aucune imitation, mais l’innutrition de Du Bellay. Alexis Jenni a digéré le langage de la Bible si parfaitement qu’il en crée une langue qui sent la Bible et n’est pas de la Bible, quoique biblique. C’est là où on découvre le maître de la langue, un gaillard qui a passé des années dans l’atelier, et qui maintenant sait tout faire, et le fait avec ses mains. C’est son corps qui écrit la langue, comme ce sont les mains de Noé qui dessine, et ses mains qui caressent Félice et la font apparaître à elle-même, dans son corps transfiguré. Car le corps est fait pour être transfiguré par Celui qui s’y est incarné après l’avoir inventé. Créé. Et puisque nous devons être les disciples de Celui-là, nous devons faire comme Lui. Noé invente Félice.

Son regard est une pieuvre.

Ils ne sont pas faits l’un pour l’autre, ils n’ont pas les mêmes goûts, la même manière de vivre, mais ils obéissent à leur corps et ils s’aiment. Mystérieusement. Dans l’éblouissement de ce mystère pour lequel nous sommes faits. Il fallait que je vous dise tout cela, et je n’ai encore rien dit de ce beau livre, si riche, si goûtu, si agréable à mâcher tant les sucs qui en découlent sont savoureux dans la bouche (Montaigne aimait goûter le parler sur le papier comme en la bouche ; je suis comme lui).

Le premier mari de Felice est médecin radiologiste. Il aime ses patients parce qu’il peut les voir, les scruter au plus secret de leur corps, savoir ce qui les menace et jouir de leur effroi quand il le leur annonce. De même, il jouit de voir sa femme jouir. Son regard est une pieuvre. Il aime sa femme, il veut lui donner du plaisir, et comme il est médecin, il sait comment s’y prendre. Mais c’est cela même qui est horrible. Précision fondamentale : donner du plaisir au corps aimé, si ce n’est qu’une technique, ce n’est pas de l’amour, c’en est la perversion. Pourtant, il est vrai que le plaisir est au cœur de l’amour. Voilà ce que Felice va découvrir et nous faire découvrir, dans une langue totalement libre, et si libre qu’elle est innocente malgré les mots audacieux qu’elle emploie. L’auteur dit les choses les plus fortes avec l’innocence de la droiture du cœur, et la merveilleuse pudeur de la poésie. C’est un cœur pur, comme Noé. Le conflit entre Noé et le premier mari devient une prodigieuse disputatio, un dialogue philosophique passionnant, bourré de signes, d’images parlantes. Comme cette scène admirable où le mari vient dans la galerie acheter un dessin de Noé, puis le brûle sur le trottoir, marquant ainsi la fin de leur combat par un sacrifice capable de satisfaire le Ciel.

Le thème du sacrifice est central, traité de multiples façons, à commencer par le sacrifice du fils de Felice, qui choisit de rester avec son père, puis le sacrifice que fait Noé d’un art intellectuel pour un art de la fresque, du portrait, un art de l’incarnation, le sacrifice aussi des tentations de l’amour facile ordinaire, qui empêche de vivre l’amour véritable, celui qui est incarnation et mémoire, incarnation à la façon de l’évangile, mémoire à la façon des Confessions de saint Augustin. Et toujours la merveille de l’écriture, de la langue transfigurée, marbrifiée par le style (un joli néologisme de Barbey d’Aurevilly). Et le métier de l’écrivain, le beau métier de celui qui sait faire.

Faire exister l’amour

Construire par exemple une polyphonie à trois voix : celle de Noé, celle de Felice, celle du narrateur. D’abord, on croit que le narrateur est l’inventeur de ses personnages. Et puis, peu à peu, par touches, on se souvient des premières pages, on les comprend autrement au point qu’on ne sait plus trop si on découvre une amitié, des rencontres… En tous cas, les personnages se mettent à exister – ou bien c’est le narrateur, on ne sait plus, mais ils sont ensemble, ils s’observent, se parlent, s’émeuvent. Là aussi, c’est une aventure amoureuse. Le narrateur a deux fonctions : fournir un livre à l’éditeur, et créer selon son défi : faire exister l’amour, que les romanciers à succès disent impossible, l’inventer comme on invente un trésor. Il n’a pas de vie, il a renoncé à l’amour pour lui, mais c’est pour mieux donner la parole à ceux qui ne l’auraient pas sans lui, quand bien même ils exerceraient un métier de la parole, comme Felice. Par ces aperçus divers, ces points de vue, on entre dans le paysage, dans la ville, dans le jardin. Le jardin, parce qu’on y est encore au Jardin des origines. Par l’amour, on revient au Jardin des merveilles. On recommence la Genèse, même si ça n’est pas très orthodoxe de faire l’impasse sur le péché. Mais tout commence au jardin, toujours, et puis aussi avec un bateau, qui n’est peut-être pas le bon, mais qui pourrait devenir une arche.

C’est que l’amour est plus fort que la mort, donc plus fort que le péché qui fait mourir. Le Cantique des cantiques, c’est comme un proto-évangile, je vous le dis en pensant au mystère de l’incarnation, qui est nécessaire à la rédemption, vous comprenez ? Alexis Jenni vous explique tout ça, mieux, il vous le fait appréhender, preuve que sa langue est ce que doit être une vraie langue, elle agit. « Parler, c’est agir », disent nos classiques. Alexis Jenni est de leur race, il en est issu ; les classiques sont ses arrière-neveux – ou l’inverse, me direz-vous ; mais c’est sans importance, parce qu’à ce niveau, on est hors du temps qui s’écoule, on est dans le temps qui s’épanouit sur place, comme un arbre.

Pourtant, ce roman est ancré dans l’actualité. À l’arrière-plan s’agitent les gilets jaunes, dans les fumées irritantes des gaz. Et les jeunes gens athlétiques en armure qui les pourchassent au nom de la loi, et les juges iniques qui condamnent ceux qu’ils ont attrapés, durement, pour faire peur à ceux qui courent encore. Bien sûr, les casseurs ne sont pas là, parce que eux, explique un officier de police, ils sont jeunes et entraînés, ils savent ce qu’ils doivent faire et ils courent plus vite que les gardiens de la paix armée. Felice est bouleversée d’avoir à essayer de défendre ces braves gens pris au piège, et qui doivent servir d’épouvantails. Pas de discours. De petites scènes, vives, intenses. La pauvre, elle en pleurerait, de voir ces saletés, et l’impuissance de ses beaux discours. Heureusement, il y a l’arche des bras de Noé, et sa fresque sur papier kraft, 15 mètres de long, et tous les braves gens qui sont là, chacun avec son visage. Au moins, l’art les sauvera de l’oubli, et surtout du mépris.

Je crois que j’ai fait une belle introduction à ce qui est un beau livre. En tous cas, j’ai fait de mon mieux. Il vous reste à le lire, à le relire, à le savourer. En France, il est encore des écrivains.

La beauté dure toujours, Alexis Jenni, Gallimard, 272 pages – 19 €

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