Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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L’art contemporain, depuis plus d’un siècle qu’il existe si on le fait débuter aux « ready-made » de Duchamp, n’est jamais parvenu à conquérir le pays réel, malgré une abondante promotion médiatique. Devant le plug anal de McCarthy, le requin au formol de Damien Hirst, le vagin de la reine d’Anish Kapoor ou les incontournables baudruches métalliques de Jeff Koons, le badaud hausse les épaules, prend une petite photo histoire de s’occuper, marmonne un « moui, c’est intéressant… » de peur de passer pour un vieux schnock ignare, et peut même aller, s’il est de bonne humeur, jusqu’à pousser un petit « c’est joli », « c’est amusant ». Il peut aussi, bien sûr, se contenter d’un « pff », et poursuivre tranquillement sa route. Il n’est plus guère choqué, en tout cas, seulement blasé, et agacé que son argent serve à financer de telles bouffonneries.
S’il n’est pas toujours infaillible, le bon sens populaire doit néanmoins être pris au sérieux, et c’est ce que fait Benjamin Olivennes, étayant par sa solide connaissance de l’histoire de l’art le ressenti de l’homme ordinaire. Dans la lignée de son maître Jean Clair, il réfute ainsi les mensonges sur lesquels prospère l’art contemporain : le mythe du progrès, de la rupture perpétuelle, de l’artiste-roi mais soi-disant incompris. Il dénonce les réseaux, l’entre-soi, la spéculation financière et toutes les magouilles du marché. Face au règne de la nouveauté et de la performance, il ne craint pas de se référer à l’idéal désuet du Beau.
Mais si l’auteur en restait à une démolition en règle des idoles, il ne ferait que conforter l’opinion de la plupart de ses lecteurs. Son mérite principal vient du versant positif de son livre, de L’autre art contemporain, caché dans l’ombre des projecteurs, qu’il nous fait découvrir. Il y aurait donc eu, selon lui, tout au long du XXe siècle et jusqu’à nos jours, une histoire souterraine de l’art. Refusant le tournant vers l’abstraction complète ou la surenchère faussement provocatrice, certains artistes ont continué à suivre la tradition, mine de rien. Ils ont créé de nouvelles formes, évidemment, mais en s’inscrivant dans une lignée, en poursuivant à leur manière et depuis leur époque la quête éternelle de la beauté. Inconnus du grand public, car dédaignés par l’élite mondaine, ils se sont reconnus entre eux, et se sont passés le flambeau du grand art. Giacometti est parmi les pionniers de ce courant dissident, aux côtés de Bonnard et de Vuillard, et B. Olivennes choisit de mettre en avant neuf de leurs héritiers : Zoran Mušič, Raymond Mason, Jacques Truphémus, Avigdor Arikha, Sam Szafran, Erik Desmazières, Jean-Baptiste Sécheret, Chiara Gaggiotti et Denis Monfleur. On ne partagera pas nécessairement tous ces enthousiasmes, on pourra trouver la liste incomplète (ce qu’il reconnaît volontiers), mais il a, quoi qu’il en soit, l’indéniable mérite d’attirer notre attention sur des artistes originaux et courageux. En lisant leur parcours, en regardant leurs œuvres, on se prend à espérer que l’art est encore vivant.
Le plaidoyer de B. Olivennes a en outre ceci d’intéressant qu’il a choisi des artistes travaillant en France, et qu’il consacre la fin de son ouvrage à sonder la notion d’art national. Si l’art est universel, on n’en décèle pas moins des traditions nationales, qui ne sont pas des corsets mais une richesse. Le sentiment conscient d’appartenir à une école française naquit véritablement avec l’impressionnisme qui, loin d’être un néfaste repli sur soi, fut un moment de grande fécondité et de rayonnement mondial. Quant à définir cet esprit français de la peinture, la chose est délicate, mais l’auteur mentionne une certaine sérénité, « la pudeur, l’absence de spectaculaire, la douceur, la clarté », « un certain classicisme sans exagération, sans démesure ; et du sein de ce classicisme un amour paisible pour le paysage, pour l’ici-bas, pour la vie sur terre, pour les femmes et la chère, pour la lumière de l’instant présent ». Voilà en tout cas de quoi méditer sur ce que fut l’art français, et ce qu’il peut continuer à être.