Wodehouse s’empare de son questionnaire tout fait et y répond très longuement, et n’importe comment, racontant par exemple comment Sydney Schwartz, de Riverhead, vivait un enfer à cause des dix tatous qu’il hébergeait chez lui : « [ce sont] des bêtes bruyantes, turbulentes, qui ne vivent, à ce qu’il semble, que pour le plaisir. Avant longtemps, la propriété Schwartz était devenue ni plus ni moins qu’une boîte de nuit, du genre le plus dévoyé, où des tatous gavés de fromage blanc, titubaient un peu partout, hurlant, glapissant, et ne manquant jamais de déclencher une ou deux bagarres avant d’aller se coucher pour la journée. » Le lecteur soupçonne rapidement que J. P. Winkler n’a pas plus d’existence réelle que les tatous, voire Schwartz, qui habite pourtant non loin de Wodehouse, mais qu’importe ? Wodehouse digresse avec talent, avec ivresse, on croirait l’intrigue d’un de ses romans mettant en scène Jeeves et Bertie, ou l’un des discours fleuve de Mr. Mulliner. Il vaut d’ailleurs mieux lire cette autobiographie dans cet esprit : l’auteur ne nous dit rien de la réception de ses romans, de son vif dépit d’être considéré comme un collaborateur après la guerre, en Angleterre, de son mariage… À peine si on cueille çà et là quelques tuyaux sur sa manière d’écrire (qui suppose un travail acharné du scénario et du ton pour paraître vif et léger), un ou deux souvenirs vrais sur son enfance et deux réflexions sur le métier d’écrivain et la littérature de divertissement. Qu’importe ? Wodehouse parle, il est drôle, on sent un fond de misanthropie, et ravi, on croise deux ou trois fois Jeeves comme un vieil ami croisé dans la rue. À défaut de mieux connaître son créateur, on aura ri une fois de plus grâce à lui.

Wodehouse, Hello, Plum ! Autobiographie en digressions. Les Belles Lettres, 2023, 264 p., 15 €