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Sur la route

Les avions sont au sol. Partout les effets de la Covid-19 interrompent les liaisons aériennes, privant de départ beaucoup de volontaires de SOS chrétiens d’Orient. Nous trouvons alors les consolations de la nostalgie, des grands départs et des banalités.

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Sur la route

Cloués au sol, les souvenirs se densifient. Juin est la saison des chemises maculées et du soleil écrasant. Ce qui ne change pas, ce sont les blagues, l’un qui abonde en insanités à chaque barrage pour sonder la placidité du conducteur, l’autre qui fait remarquer, en direction de Soudeia, que Daech est à 10 km à l’ouest, et Al Quaeda à 15 km en sens inverse, l’autre enfin qui propose une dizaine. Un moine la transforma un jour en chapelet. Cela nous rendit plus précautionneux.

Nous n’avons plus de baluchons en voyage. Ou alors pour les poseurs de magazines et les filles d’Instagram. C’est dommage. Cela nous donnerait plus d’allure quand nous sortons des voitures essoufflées du Proche-Orient. La voiture, c’est aussi l’échappatoire, car elle rappelle que le temps peut être compté, là où les hôtes le laissent préférablement filer.

Tous les modèles sont disponibles, du taxi cahotant, aussi fatigué que son conducteur, dans les rues de Beyrouth, aux 4×4 rutilants des huiles irakiennes. Bien sûr, grâce à la publicité des groupes terroristes, le pick-up Toyota est prisé, adulé.

Présider SOS chrétiens d’Orient, c’est être en voiture. Tout le temps. Et souvent dans des situations où le rocambolesque le dispute à l’inconfort. La visite classique débute le jeudi, au départ de Paris où la file des automobilistes exaspérés vous amuse. Dans quelques heures, vous traverserez une frontière de nuit, priant pour que les factionnaires soient trop fatigués pour gaspiller votre temps. Il y aura l’arrêt aux cafés arabes ambulants qui procurent la force de demeurer éveillé pour quelques jours. À Erbil, la route est rapide, à Bagdad elle se faisait nerveuse, à Beyrouth, vous pouvez maintenant indiquer le chemin sans cartes. Le dimanche, il faut prendre le dernier avion pour retrouver « une activité normale » au lundi matin. L’arrivée se fait à l’aube, unique occasion d’évoquer l’amour courtois du XXIe siècle : des croissants frais.

Au Proche-Orient, comme ailleurs, il faut être concentré. Nous avons lu des rapports d’accidents où des camions surgissent en contresens sur une voie unique, vu des motos qui portent deux parents et leurs trois enfants, et observé les cargaisons fruitières du Caire dont l’équilibre forme à lui seul une preuve de l’existence de Dieu. Il y a une sociologie de la route. Ou plutôt des modèles. Plus la moyenne est mauvaise, plus les 4×4 sont imposants, plus le pays va à l’abîme. C’est archi-vérifié par les connaisseurs. Et aussi par les compagnies d’assurance qui exigent une capacité d’extraction tributaire de quelques cylindres.

Mais la distinction ne se vérifie pas simplement par les modèles. Les arrangements de plaques indiquent vos connexions administratives, les vitres teintées illustrent vos passe-droits et l’odeur de cigarette démontre votre résistance aux envahissantes normes occidentales. Ce lot de sensations et les conclusions qu’on en tirera forment l’expérience.

En Jordanie, des lignes droites infinies rallient Amman à Madaba et ses mosaïques, jusqu’au Mont Nebo, où les distraits observent les nomades plutôt que le Jourdain. En Irak, en poussant au nord-ouest, après Badaresh, on franchit la vallée de la Sapna en zigzaguant comme dans les Pyrénées. Alentours, Turcs et militants du PKK font peser leurs combats sur la population civile. Au moins ces routes sont-elles charmantes pour le passager. Il en est de plus ennuyeuses, comme celle reliant Homs à Alep, si longue.

Souvent, les premières lignes de ces chroniques naissent des demi-torpeurs de la route. Un voyage dans un fauteuil avec quelque carnet. Rien ne change vraiment. Qui aurait dit que nous nous languirions de retrouver le mauvais air des climatisations ?

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