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Sous l’aile bienveillante de Jeanne

La présence de la sainte jalonna le parcours du compositeur et éminent chef d’orchestre Paul Paray (1886-1979).

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Sous l’aile bienveillante de Jeanne

Dans l’église Saint-Jacques du Tréport, l’enfant restait en admiration devant une statue en bois grandeur nature de Jeanne d’Arc, bouleversé par les merveilleux récits de sa geste. Ses parents lui inculquèrent l’amour de la musique. Ivoirier et maître de chapelle, son père lui enseignait l’orgue tous les matins. Auguste Paray dirigeait aussi la fanfare locale et donnait de grands concerts symphoniques et choraux. En août 1894, il monta Jeanne d’Arc, drame lyrique du normand Charles Lenepveu, avec le concours de chanteurs de l’Opéra de Paris et d’instrumentistes du Casino du Tréport. Le jeune Paul intégra la maîtrise Saint-Evode de Rouen, pépinière de talents. Sous la férule du chanoine Adolphe Bourdon et de l’organiste Jules Haëlling, il pratiqua, outre le chant, le violoncelle, le piano et l’orgue. Doté d’une mémoire extraordinaire, il interprétait par cœur à 14 ans l’œuvre pour orgue complet de Bach.

Décelant l’incroyable potentiel de l’adolescent, l’organiste Henri Dallier persuada ses parents de l’envoyer au Conservatoire de Paris, où il se forma auprès de Xavier Leroux, Georges Caussade, Charles Lenepveu et Paul Vidal. Pour gagner sa vie, il se produisit parallèlement à ses études comme violoncelliste dans l’orchestre du Théâtre Sarah Bernhardt, comme pianiste au cabaret des Quat’z’Arts ou comme organiste : ainsi en septembre 1910 à Arques-la-Bataille à l’occasion de… la messe de Jeanne d’Arc !

Nous le retrouvons en loge à Compiègne en 1911 pour les épreuves du Prix de Rome. Les Fêtes johanniques y battaient leur plein en ce mois de juin. Avec son camarade Claude Delvincourt, l’intrépide fit le mur pour y assister, au risque de compromettre le concours ! Heureusement, le gardien qui guettait leur retour, soudoyé par les sucres d’orge et attendri par la joie innocente des deux candidats, ferma les yeux. Le Premier Grand Prix lui fut décerné pour sa cantate Yanitza. Le sujet médiéval met en scène le guerrier Marko qui, prêt à trahir son pays, se voit ramené dans le droit chemin de l’honneur par sa fiancée résistante combattant l’occupant ottoman. Clin d’œil malicieux du ciel car Yanitza est justement considérée comme la Jeanne d’Arc albanaise ! Son séjour à la Villa Médicis inspira à Paul Paray le poème symphonique Adonis troublé, un Nocturne pour violon et piano, des pièces de piano, des mélodies sur des poèmes d’Albert Samain et Théophile Gautier.

Normandie johannique

Monseigneur Fuzet, archevêque de Rouen, lança les Fêtes Jeanne d’Arc dans sa cathédrale en 1902. La béatification de la pucelle en 1909 dynamisa la créativité du chanoine Bourdon qui écrivit immédiatement ses Strophes à Jeanne d’Arc. Commandée par l’archevêque, sa Messe solennelle en l’honneur de la bienheureuse Jeanne d’Arc fut interprétée le 30 mai 1911 sous la direction de Jules Haëlling. Paray emboita le pas à son ancien professeur en répondant lui aussi à une demande de Mgr Fuzet et commença à Rome en 1912 la composition de son oratorio Jeanne d’Arc sur un livret de Gabriel Montoya. Il résonna sous les voûtes de la cathédrale rouennaise le 30 mai 1913 en ouverture des fêtes commémoratives.

Quand la Première Guerre mondiale éclata, Paray rejoignit le 39e RI à Charleroi. Fait prisonnier à Faverolles, il passa quatre années au camp de Darmstadt. S’exerçant sur un clavier muet, il songea à une adaptation de Laurette d’Alfred de Vigny, histoire d’une déportation, tirée de Grandeur et Servitude militaires. Il conçut mentalement deux œuvres qu’il s’empressa de jeter sur le papier dès son retour en France fin 1918 : la suite pour piano D’une âme et son Quatuor à cordes, reflet d’une pénible captivité. À l’été 1919, pressé par des nécessités économiques, il accepta de diriger les concerts du Casino de l’Esplanade de Cauterets. Son génie de chef s’imposa d’emblée et l’expérience marqua le point de départ d’une carrière fulgurante. Paris l’accueillit triomphalement : il prit la tête de l’Orchestre Lamoureux, puis des Concerts Colonne.

Alors que la France s’enfonçait dans une crise économique, les fêtes rouennaises de 1931 brillèrent d’un éclat particulier. L’oratorio de Paray fut redonné le 30 mai 1931 et le lendemain fut exécutée sa Messe pour le cinquième centenaire de la mort de Jeanne d’Arc qui rassemblait sous sa baguette les 300 musiciens des orchestres Colonne, Lamoureux et du Conservatoire ainsi que des chœurs parisiens. La partition contient d’admirables pages symphoniques dont les accents anticipent ceux de la Jeanne au Bûcher qu’Honegger écrira sept ans plus tard. « La Messe de Jeanne d’Arc est une œuvre d’une force et d’une noblesse qui la hissent d’emblée aux sommets » estima Florent Schmitt, qui poursuivait dans l’enthousiasme : « Je ne vois guère à lui comparer en ce genre, dans la production récente, que le Stabat Mater de Karol Szymanowski ou le François d’Assise de Francesco Malipiero. »

Paul Paray débordait d’énergie. Le chef lança de nouveaux interprètes d’envergure : les violonistes Jascha Heifetz en 1921 et Yehudi Menuhin en 1927 tandis que le compositeur présentait au public ses dernières œuvres : le ballet Artémis troublée à l’Opéra de Paris en 1922, la Fantaisie pour piano et orchestre aux Concerts Lamoureux en 1925 et ses Symphonies, la première en ut, créée le 31 mars 1935 aux Concerts Colonne, la seconde en la, sous-titrée Le Tréport en mémoire de son père, donnée au Châtelet en avril 1940.

Patriotisme johannique

Cependant, en octobre 1940, les autorités d’occupation lui ordonnèrent de communiquer la liste des musiciens juifs et de débaptiser l’orchestre au prétexte qu’Edouard Colonne, son fondateur, était de confession juive. Refusant d’obtempérer à ces diktats, Paray démissionna sur le champ et s’exila à Marseille puis à Monaco, où la Principauté lui offrit les postes de premier chef d’orchestre et co-directeur de l’Opéra. Il multiplia les manifestations de patriotisme et protégea plusieurs artistes juifs chassés de l’Orchestre National en juillet 1941 en les ramenant en zone libre.

Après la Seconde Guerre mondiale, emporté dans un tourbillon d’activités diverses (la réorganisation de son Orchestre Colonne, la création du nouvel Orchestre Philharmonique d’Israël, le remaniement de l’Orchestre de Detroit, de nombreuses tournées internationales), Paul Paray cessa de composer pour se consacrer à son travail d’interprète, de bâtisseur d’orchestres, et d’ambassadeur de la musique française. Il fut élu à l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France en 1950. L’humble enfant du Tréport, méditant les exploits de son héroïne, est devenu une légende de la musique.

À écouter :
  • Messe de Jeanne d’Arc, solistes et Orchestre Symphonique de Detroit, dir. Paul Paray, Mercury Living Presence
  • Jeanne d’Arc, oratorio, solistes, chœurs et Assumption Grotto Orchestra, dir. Eduard Perrone, Grotto Productions
  • Yanitza, solistes et Assumption Grotto Orchestra, dir. Eduard Perrone, Grotto Productions

 

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