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Rome est toujours dans Rome

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Rome est toujours dans Rome

«N’allez pas à Rome si vous ne voulez pas perdre la foi », avait coutume de dire un vieux professeur milanais de ma connaissance. Lorsqu’on lit Un automne romain, on se dit par moments que c’est à peine une boutade.

Le 4 octobre 1996, Michel De Jaeghere arrive à Rome avec une feuille de route de journaliste : « se tenir prêt à annoncer la mort du Pape, mettre à jour ses fichiers sur les favoris du prochain conclave, traîner ses basques dans les couloirs du Vatican pour y engranger des commentaires […] alors que les cardinaux sont sous clé. » En dix-huit jours, il remplira exactement les tâches prescrites, mais le pape ne mourra pas et les cardinaux resteront au téléphone !

Le remarquable, c’est que les commentaires sont encore plus pertinents vingt ans après. Ce Journal sans moi rend compte de toutes ces conversations édifiantes.

Le cardinal Strickler, préfet émérite des Archives secrètes, parle crûment des droits de l’Homme, qui ne sont, en dépit des discours, ni le respect de la personne humaine ni les droits de Dieu. Un membre de l’équipe de la Secrétairerie d’État chargée de gérer les relations du Saint-Siège avec les autorités françaises montre l’opération de lissage des discours des papes, en l’occurrence ceux de Jean-Paul II en France, sous la pression des politiciens. Pas de liberté de pensée ni de parole ! Le professeur Roberto De Mattei décrit les scénarios du prochain conclave : « On commencera par la liquidation de l’enseignement moral en invoquant le primat de la pastorale. L’enseignement dogmatique suivra, par conséquence nécessaire ». Mgr de La Lande d’Olce, archiviste de la Congrégation pour les évêques, explique le triumvirat – appuyé de sa clique de journalistes – qui dirige les affaires à la Secrétairerie d’État. Un chanoine de Sainte-Marie-Majeure décrit la fureur iconoclaste qui sévit actuellement dans l’Église.

Il faudrait citer en entier la conversation sur l’Église de toujours, avec le vieux cardinal Oddi : l’Église qui parle des fins dernières, qui croit en l’Eucharistie, qui est dépositaire du salut de l’humanité.

Entre deux rencontres, l’auteur parcourt sa chère Rome. Il fait partager à son lecteur son amour, son éblouissement éprouvés dès l’enfance et nourris de sa très grande érudition. Il déteste aussi, parfois. Il lui arrive de rire également, nous sommes en Italie.

D’abord, comprendre la majesté de Saint-Pierre : « la dimension théologique d’un décor destiné tout entier à choquer l’austérité protestante par l’exaltation forcenée d’une beauté sensible ordonnée à la gloire de Dieu. » Il a contemplé dans la crypte le modeste reliquaire des restes du premier Pape, Pierre, découverts cinquante ans auparavant. De la petitesse à la grandeur !

Comment ne pas être stupéfait devant la Chapelle Sixtine et « les tragiques contorsions, l’incroyable mêlée, la confusion des corps par quoi Michel-Ange exprime l’angoisse que suscite, dans une âme tourmentée, la perspective de la justice divine. »

Et comment ne pas s’arrêter devant le Laocoon dans la cour du Belvédère au Vatican, extrait, jadis, d’une fosse par l’architecte du pape Jules II, Giuliano da Sangallo, accompagné de Michel-Ange : ce groupe « dont Pline l’Ancien déclarait […] qu’il faut le préférer à toute la peinture et toute la sculpture. »

Alors Canova survivra-t-il dans notre estime ? « On s’étonne de voir des hommes d’esprit et de goût prendre plaisir aux mollesses équivoques de statues lissées et polies jusqu’à l’écœurement […] Ce n’est pas l’inexpressivité qui fait la beauté de l’œuvre classique, et moins encore la mièvrerie, c’est au contraire la force bridée, intériorisée, contenue ». Une leçon !

« Il y aurait, à Rome, un jeu de piste à suivre en allant d’obélisque en obélisque » – de la Villa Hadriana jusqu’au Quirinal.

Les plus grands écrivains accompagnent l’auteur dans ses promenades. Montaigne de mauvaise humeur admire pourtant le faste de la cour romaine, les splendeurs de la liturgie. Le cardinal de Retz a vécu un conclave et les « coups de billard à trois bandes » ; le président de Brosses est saisi d’admiration devant les fontaines romaines et raconte « les manœuvres obliques (toujours le billard !), les complots, les coups de Jarnac » du conclave qui ont abouti à l’élection de Benoît XIV, grand pape du XVIIIe siècle. Chateaubriand encombre Rome de ses états d’âme ; Stendhal l’anticlérical fait de la politique ; Berlioz raconte sa vie de pensionnaire de la Villa Médicis. Zola se livre à une attaque en règle de l’Église et des nouveaux maîtres du Risorgimento. Maurras honore la hiérarchie spirituelle qui façonne le catholicisme romain et qui nous garde de confondre les ordres. Montherlant néglige méthodiquement les églises et fait disperser ses cendres à Rome.

« La magie de Rome », écrit Michel De Jaeghere, « tient à ce continuum : à ce que les papes ont récupéré les marbres, les formes, les monuments parfois, de la Rome des Césars, pour bâtir la Rome pontificale ». Comment ne pas aimer cette magie ? Plus qu’une magie, puisque c’est une œuvre de l’Esprit.

Un automne romain, Journal sans moi, Michel De Jaeghere, Ed Les belles lettres, 400p. 19 €.

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