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Rome à la paresseuse

Quand on a proposé à la jolie romancière italienne Eleonora Marangoni d’écrire un livre sur Rome, elle s’est tout de suite dit : comment passer après Stendhal et ses Promenades dans Rome ? On aurait pu lui rétorquer que la plupart des touristes n’ont jamais lu Stendhal, mais sa réaction était la preuve de son exigence littéraire.

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Rome à la paresseuse

Car ce Rome, sous-titré « guide à dévorer comme un roman », est tout sauf un guide pratique. C’est une promenade sur les sept collines, pleine de charme et d’intelligence littéraire. Littéraire ? On n’en a que faire, direz-vous. Et si, justement, car le regard que porte le véritable écrivain sur une ville, quand il a nom Stendhal ou Marangoni, est unique, en ce qu’il embrasse d’un même mouvement les êtres et les choses, et restitue à la ville toute son âme.

Pour Eleonora, cette Rome est une grande paresseuse. Elle l’illustre d’une locution romaine : « Ma che ti metti a fare ! » (à-quoi-bon-t-agiter-à-faire-des-choses) avec les deux mains jointes vers le ciel. « Nous Romains, dit-elle, nous ne savons pas bien ce que nous sommes, habitants d’une mégapole ou citoyens de province. » Rome est pourtant le berceau de la civilisation, et le Capitole l’origine de toutes les capitales du monde : Capitolium. Mais la ville semble comme fatiguée par tant de vestiges accumulés, et le Romain pris dans un mélange de fatalisme et d’amour de la vie, nous dit-elle.

De colline en colline, elle nous fait partager sa dilection pour les quartiers qu’elle aime

Jeune, Eleonora est une romaine déracinée : elle déménage souvent au sein de cette commune immense, dix fois grande comme Paris. Plus tard, elle a soif de courir vers le centre : l’Aventin, le Trastevere, le Pincio. De colline en colline, elle nous fait partager, avec subtilité, sa dilection pour les quartiers qu’elle aime, et qu’elle a la délicatesse de redécouvrir au fil des souvenirs familiaux et de ses amitiés.

Ainsi, ce Lucchino qu’on croirait connaître, archéologue raté, devenu guide touristique aux musées capitolins, qui a « l’amitié absolue » et collectionne les capsules de bière Peroni. Ou ses oncle et tante, Eraldo et Rosi, qui décident d’un voyage de noces clandestin au Viminal, au sein de leur propre ville. Sur la colline du Celio, l’auteur semble heurté par les ravages du tourisme. Le problème avec la ville touristique, c’est qu’elle se prête à un mensonge : on finit par « façonner la ville à l’image de l’étranger, on la déguise en ce qu’elle n’est plus ». Joyce, plus caustique, disait que « Rome lui fait penser à un homme qui gagne sa vie en montrant aux touristes le cadavre de sa grand-mère ».

Entre splendeurs et misères, Rome reste insaisissable, contrastée, chaotique. L’auteur nous fait vivre un temps comme des patriciens sur le Palatin, un temps comme des plébéiens à l’Aventin, sans la chaleur, la poussière et le bruit des scooters. Et si nous n’allons pas à Rome cette année, nous sommes reconnaissants d’avoir pu réaliser, grâce à Eleonora Marangoni, un merveilleux voyage intérieur.

 

Eleonora Marangoni, Rome. L’Arbre qui marche, 2025. 174 pages, 13,90 €

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