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Rêves profonds

Quand Jacques Perrin veut filmer Océans (2009), il demande que la caméra puisse suivre les bancs de poissons et de dauphins en se coulant au milieu d’eux. Des artisans de génie imaginent Jonas, torpille hydrodynamique.

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Rêves profonds

Problème, les poissons ne l’aiment pas et s’en écartent. Les dauphins ne l’aiment pas non plus. On la repeint en rouge en on lui colle des autocollants argentés en forme de poisson. Les poissons ne se laissent pas tromper et s’écartent encore. Les techniciens finiront par y accrocher de vrais poissons et la torpille pourra évoluer sans problème au milieu de leurs congénères, rassurés par la présence familière. On peut admirer Jonas à l’exposition « Objectif mer : l’océan filmé », qui inaugure le rénové musée de la Marine.

Ce ne sont que caméras, affiches et costumes, photographie XIXe et chronophotographie d’Etienne-Jules Marey montrant les Ondulations des nageoires de la raie vues de côté (1892), précédées de lanternes magiques et de leurs plaques de verres peintes à la main représentant des voiliers évoluant dans des banquises. On ne peut qu’admirer l’acharnement à la fois scientifique et artistique à représenter la mer, la filmer, la mettre en mouvement, depuis les grands théâtres panoramiques exposant des vues gigantesques (immersives, dirait-on aujourd’hui), comme Le Vengeur (1892), de T. Poilpot, jusqu’au Chant du loup (2019) qui met si bien en valeur nos sous-mariniers.

Pour arriver à l’exposition, après avoir été accueilli par le Scaphandre articulé des frères Carmagnolle (1882), qui ressemble à un croisement de homard, de scarabée et de mante religieuse, on parcourt les nouvelles salles du musée, remplies entre autres merveilles de tableaux gigantesques, de modèles “réduits” de navires de la Royale de cinq mètres de long (le Royal Louis), d’une vitrine consacrée aux objets de culte embarqués à bord et d’une galère royale Louis XIV, la Réale, dont la poupe dorée et sculptée survole les grandes Vues de Vernet.

Un univers à part, inquiétant et désirable, étrange et familier

Mais l’exposition nous offre une plongée dans un imaginaire marin plus récent, mobile, sous-marin, surtout, l’œil suivant la caméra et donc descendant au fond des eaux : les affiches des différentes adaptations de 20 000 lieues sous les mers rutilent de couleurs, les pirates bondissent sur tous les murs et on peut méditer sur les substantielles différences entre les affiches de La Vénus des mers chaudes (1955), d’Howard Hugues, avec Jane Russell, en superscope, et celle de L’Atlantide (1921), adaptée de Pierre Benoit par Jacques Feyder. Le petit bikini rouge de Jane fait pitié à côté de la robe et de la cape noir et or aux grands pétales Art Déco de la reine Antinea, jouée par Stacia Napierkowska. Mais La Vénus des mers chaudes avait des séquences sous-marines admirables qui assurèrent le succès au moins autant que la plastique de l’actrice. Au Monde du silence (1956) de Cousteau répond La Vie aquatique (2003) de Wes Anderson (deux vitrines réjouissantes avec les bestioles improbables imaginées par le réalisateur et les “uniformes” de ces Cousteaux misérables) : quarante ans séparent la prouesse technique initiale, avec ses optiques spéciales et ses caméras carénées comme des jouets, de sa parodie nostalgique considérant avec attendrissement l’appareillage aujourd’hui démodé mais montrant la mer et la vie en mer comme un univers à part, inquiétant et désirable, étrange et familier.

On sent, de salles en salles, que les histoires, films documentaires ou pures fictions, sont presque un prétexte et que tous les artistes et les savants sont d’abord fascinés par l’idée de rapporter des images inédites de galions ressuscités, de vagues terrifiantes ou de fonds mystérieux que la lumière électrique révèle un instant. Nous parcourons l’exposition, immergés dans la pénombre, comme des poissons visitant un univers inconnu qui vient de sombrer, avec ses merveilles intactes.

 

Illustration : Laque de lanterne magique peinte à la main pour la Royal Polytechnic de Londres, c. 1860. Attribuée à William Robert Hill (1830-1884). Paris, Collection La Cinémathèque française.

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