Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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La monarchie française n’était pas seulement un système de gouvernement. C’était une religion dans la religion. Elle était investie d’une légitimité supérieure.
Didier Le Fur est l’historien des rois de la Renaissance. Les rois Valois, brillants, politiques, aussi rusés que décidés ; Charles VIII, Louis XII, François 1er, Henri II n’ont plus de secrets pour lui. Il a fouillé leurs vies autant que leurs règnes ; surtout il les a compris dans leur esprit, dans leur psychologie, dans leur entourage, dans leur temps aussi, en donnant à cette période de grandeur toute l’ampleur que l’historiographie française est loin de lui avoir vraiment donnée à cause de l’étroitesse des angles de vue et la mesquinerie des appréciations. D’ailleurs, la Diane de Poitiers qu’il a fait publier l’an dernier, chez Perrin également, et qui a reçu le grand prix de la biographie 2017 a confirmé le talent de notre auteur.
Les princes qui ont occupé le trône à cette époque, tous de manière étonnante et quelque peu imprévue jusque dans l’ordre de succession, avaient une réflexion, une vision à la fois traditionnelle et déjà moderne où la France, désormais pour ainsi dire conceptualisée comme unique et spécifique, royaume incomparable, s’identifie avec sa dynastie qui en fait précisément et la cohésion et la particularité, et donc en détermine la nature et le sens. La fin de la guerre de Cent ans achevée avec l’habileté de Charles VII, le gouvernement royal aussi subtil que vigoureux de Louis XI qui crée l’ordre intérieur et garantit l’indépendance du royaume, ont permis pour les règnes suivants l’efflorescence d’une France riche, pacifiée, munie du plus fort des États, décidée à remplir son rôle historique. Rôle pensé comme universel, ce qui l’investit d’un destin extraordinaire par rapport à tous les autres. C’est ce que montre et démontre brillamment le dernier livre de Didier Le Fur qu’il intitule justement Une autre histoire de la Renaissance.
Il s’agit d’une synthèse qui s’étend sur quatre règnes de Charles VIII à François 1er et qui décèle et indique, à travers la multiplicité apparemment chaotique des évènements, heureux ou malheureux, une ligne directrice qui rend compte des choix, des décisions, des équipées, des politiques de ces princes de tempérament différent mais tous dominés par la même grande idée.
Certes, la France n’était pas partie à la conquête d’empires outre-mer, mais elle prétendait, face à l’Espagne, face bientôt à l’Empire du roi des Romains qui ne tient que par sa personne, assumer la première et prépondérante place ans l’Europe d’alors. D’où les revendications italiennes, toutes légitimées selon le droit royal ; d’où les guerres d’Italie pour récupérer les héritages milanais, gênois, napolitains et siciliens. D’où aussi dans le livre beaucoup de récits.
Mais derrière ce qui pouvait paraître et ce qui a été jugé comme une folie, brûlait le feu sacré et sans cesse renaissant d’une conviction qui s’alimentait dans les vastes considérations d’une doctrine royale française ; foi presque mystique et autant religieuse que politique qui puisait tout autant dans l’historie que dans la légende et dans des textes qui se voulaient prophétiques, depuis le fameux Karolus sur lequel l’auteur nous éclaire de manière amusante, jusqu’à des traités historico-philosophiques d’allure scolastique mais, évidemment, scientifiquement contestables. Avec ça, on surmonte les désastres ! Ce fut beau, certes coûteux mais finalement plus utile qu’on ne le pense : la France est un royaume à part ; son roi est différent de tous les autres ; il est messianique. Et, peut-on ajouter, la civilisation italienne ne peut que lui revenir de droit ! Les Bourbons continueront à leur manière. La République aussi, en prétendant assumer un rôle universel ! Elle voudrait façonner le monde selon son messianisme laïque. Même encore aujourd’hui… Il est douteux, cependant, qu’elle le puisse. Le rêve a échappé aux rois ; il fuira la République encore plus !