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Quand la musique se met à table !

«C’est merveilleusement assaisonner la bonne chère que d’y mêler la musique » lance Dorimène à Monsieur Jourdain. Cheminons donc à sa suite dans les méandres de la gastronomie musicale.

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Quand la musique se met à table !

Depuis les représentations des noces de Cana jusqu’aux « tableaux de salle à manger » de la bourgeoisie de la Troisième République, en passant par les « petits genres » de Jean-Siméon Chardin, l’histoire de la peinture abonde en représentations culinaires mais « l’illustration musicale de la nourriture est rare ». C’est la raison qui a incité Sophie Comet à se mettre à table avec autant de gourmandise que de curiosité. Pour nous ouvrir l’appétit, elle déploie un arsenal de victuailles puisé principalement dans le répertoire français. Titulaire de l’agrégation de musique et d’un doctorat en Sorbonne, diplômée du CNSM de Paris, elle analyse chaque partition évoquée avec clarté, justesse et sobriété.

Sous l’Ancien régime, les « musiques de table » ne constituent qu’un pur divertissement entendu en fond sonore, telles les Symphonies pour les soupers du roy de Michel Richard Delalande. Aussi l’auteur nous entraîne-t-il vers des réalisations plus concrètes. Tout d’abord, le marché s’effectue en compagnie de Clément Janequin (Voulez ouyr les cris de Paris, 1528) et dans le quartier des Halles avec Reynaldo Hahn et sa pétulante Ciboulette (1923). Nous regrettons que Mme Comet n’ait pas pensé à récolter quelques légumes dans le foisonnant Jardin de Rémy de Gourmont mis en musique par Henry Woollett en 1920… Nous nous approchons ensuite des fourneaux avec la Revue de cuisine (1927) de Bohuslav Martinů, malicieux ballet narré par un Chaudron, mettant en scène Torchon, Balai, Couvercle et Moulinet, véritable « bric-à-brac vitaminé » alternant charleston, tango et fox-trott ! C’est Darius Milhaud qui calme le jeu en dépeignant sa Muse Ménagère (1944), une cuisinière modèle, qui n’est autre que son épouse Madeleine. L’amphitryon Manuel Rosenthal nous convie à de pantagruéliques réjouissances avec une descriptive Musique de table (1942) pour grand orchestre : « rien ne manque à l’appel, depuis l’entrée des convives jusqu’à la bombe glacée, la corbeille de fruits, le café, les liqueurs, les cigares et les conversations d’après dîner » ! En 1948, Leonard Bernstein retient quatre recettes de La Bonne Cuisine d’Emile Dumont, témoignant du renom de la gastronomie française outre atlantique : Queues de boeuf, Tavouk Geunksis, Civet à toute vitesse, Plum-Pudding. La carte des douceurs rassemblées par Sophie Comet se révèle des plus fournies : Gioacchino Rossini nous propose ses Quatre mendiants, dessert typique de la tradition provençale, et Claude Delvincourt ses irrésistibles Croquembouches (1926), alléchante ribambelle déclinant Nègre en chemise, Linzer Tart, Rahat Loukoum, Puits d’amour, Croquignoles, Pets de Nonne,… jusqu’à l’indigestion. À la douzième pièce du recueil, une fugue austère intitulée Huile de ricin, le gourmet endurant peut préférer un café vanté dans les cantates de Nicolas Bernier et Johann Sebastian Bach ou un thé échappé de L’Enfant et les sortilèges (1925) de Maurice Ravel. Et pourquoi pas un digestif plus savoureux, comme la Chartreuse verte décrite par Emmanuel Chabrier dans L’Etoile (1877), le Pippermint-Get (1907) de Déodat de Séverac ou In a Vodka Shop (1915) d’Arnold Bax ?

Si la gastronomie inspire les compositeurs, les musiciens suscitent parfois la création de recettes demeurées célèbres. Nous découvrons ainsi l’origine du tournedos Rossini, de la poularde Adelina Patti, de la pêche Melba ou de la poire Belle Hélène.

Quelle lecture jubilatoire que cette livraison d’O Tempus Perfectum ! L’auteur affiche une volonté d’opérer des passerelles entre les arts (il n’y manque que le cinéma) et complète son propos par des suggestions d’associations picturales, sonores et littéraires, précisément référencées, abondamment commentées et disponibles sur internet.

Bon vin me fait chanter

Pour magnifier ce festin par un divin breuvage, convoquons Sylvie Reboul, ingénieur agronome, œnologue de formation, mélomane averti, qui nous conte l’histoire du vin à travers les chansons. En amplifiant un chapitre de son livre précédent, Le vin et la musique, paru en 2008 (Cf. Politique Magazine n°80, décembre 2009), elle réalise un travail documenté, puisant essentiellement aux sources incontournables que constituent les ouvrages de Claude Duneton et Martin Pénet. Aucune illustration ni reproduction de partition ne viennent égayer cette compilation commentée de textes de chansons s’étalant depuis le Ve siècle jusqu’à nos jours. Aucun index non plus ne facilite la recherche. Pourtant indissociable des mots dans ce genre de répertoire, la musique n’a pas droit de cité : les compositeurs se voient la plupart du temps mentionnés dans les notes de bas de page. Pourquoi n’avoir pas tenté de cerner parallèlement l’évolution du style bachique à travers les époques et en fonction des paroliers et compositeurs? Y a-t-il une spécificité musicale caractérisant la chanson à boire ? La perspective est ici plus historique que musicale et l’auteur, ponctuant un parcours chronologique de nombreuses citations (environ 300), se concentre uniquement sur les textes.

Le catalogue des chants mentionnant le vin, considéré comme une boisson magique, vecteur de communion et d’échange entre les êtres, est immense. Vin et musique accompagnent l’humanité depuis l’aube des temps et rythment les actes les plus intenses de l’existence. Avec l’introduction et l’expansion du vignoble en France du Ve au XVIe siècle voient le jour les premières chansons à boire en latin puis en langues vernaculaires. Au fil des pages transparait le lien étroit entre chanson et évolution sociale. L’histoire du vin s’écrit au plus près des préoccupations quotidiennes. Les textes l’illustrant transmettent l’opinion de catégories souvent exclues des processus dominants de production culturelle. Ainsi plaisir et révolte se perçoivent à travers les créations des chansonniers des XVIIe et XVIIIe siècles. D’un Empire à l’autre, guinguettes et cafés concerts contribuent avec leurs refrains entraînants à la communion entre les hommes ou expriment les ravages du phylloxera à la fin du XIXe siècle. Revêtant un caractère éminemment patriotique, le vin apparait comme un indispensable ciment social lors des deux guerres mondiales : citons par exemple La Madelon en 1914 et Ah, le petit vin blanc en 1943. Or, depuis le rétablissement de la paix, les artistes de variétés délaissent peu à peu ce thème. Alain Bashung (L’eau et le vin, 2000) et Pascal Obispo (Millésime, 2001) l’ont encore abordé récemment. Avec sa Petite messe solennelle (2008), inspirée par la musique du gourmand Rossini, Juliette réconcilie le boire et le manger en célébrant la tradition viticole. « Aujourd’hui, conclut Sylvie Reboul, le vin ne fait plus partie des thèmes « porteurs » : trop polémique, trop risqué, trop dépassé peut-être… ». Cette disparition progressive annoncerait-elle celle d’une civilisation ?

  • O Tempus Perfectum n°17, Sophie Comet, À table !, Symétrie, 12 €
  • Sylvie Reboul, Bon vin me fait chanter, Féret, 19,50 €

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