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Proust prix Goncourt

Quand Proust reçoit son prix, grâce à la campagne énergique de Léon Daudet, les journalistes reprochent à son livre sa légèreté coupable par rapport au massacre qui vient d’avoir lieu. Proust, lui, prend la mesure de ses si justes intuitions : la gloire l’a rendu inconnu à ses contemporains.

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Proust prix Goncourt

lLe 10 décembre 1919, le prix Goncourt était décerné au roman de Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Un choix qui suscita une vive polémique, une émeute littéraire1, qui joua un rôle important aussi bien dans l’histoire du prix Goncourt (fondé en 1903) que dans la destinée de Proust écrivain, lequel passa d’un coup d’une renommée honorable à une gloire nationale et même au-delà.

C’est un événement, dans la vie recluse du romancier. Ce jour-là, l’Académie Goncourt, menée par Léon Daudet qui a remporté ce choix en faveur de son ami, frappe à la porte de Proust. Sa gouvernante Céleste Albaret lui annonce ces visites, et le prix décerné qui les occasionne, à quoi l’auteur des célèbres longues phrases proustiennes répond simplement : « Ah ». Puis c’est son équipe éditoriale qui apparaît : Gaston Gallimard (dont le comptoir d’édition n’existe que depuis 1911), et à ses côtés le lumineux directeur de La Nouvelle Revue Française, beau-frère d’Alain-Fournier mort au Champ d’Honneur, Jacques Rivière.

Cette effervescence joyeuse n’est pas unanimement partagée. Car la France de 1919 est encore largement sous les décombres des bombardements. L’Académie Goncourt a fidèlement accompagné l’effort de guerre en primant des romans de l’héroïsme militaire et de la souffrance des poilus : signalons Le Feu d’Henri Barbusse (l’un des plus célèbres) en 1916, L’Appel du sol d’Adrien Bertrand attribué dès 1914 mais décerné en 1916 aussi, Flamme au poing d’Henri Malherbe en 1917, enfin, en 1918, Civilisation de Georges Duhamel, qui rend compte de son expérience de médecin auprès des blessés de guerre. On entend, par comparaison, tout ce que le titre d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs comporte d’insouciante Belle Époque, pour ne pas dire d’anachronisme sacrilège. On attendait de voir primé le magnifique roman de guerre de Roland Dorgelès, Les Croix de Bois, que les dames du prix Femina-La Vie heureuse s’empressent de couronner deux jours plus tard.

On comprend que le nom de Marcel Proust et le titre de son volume viennent fortement rompre cet enchaînement de circonstances. Peut-être l’Académie Goncourt voulait-elle précisément marquer un nouveau départ de la littérature. On sait par ailleurs qu’au sein du jury l’influence de Léon Daudet, dont le père avait été, avec Léon Hennique, l’exécuteur testamentaire d’Edmond de Goncourt, fut décisive en faveur de Proust. Quand on a célébré, il y a quatre ans, le centième anniversaire de ce prix Goncourt attribué aux Jeunes filles en fleurs, on a pu dire que le jury avait choisi la littérature contre la patrie.

Le choix du futur

Ce qui est sans doute inexact. Il faudrait plutôt dire que le jury a choisi l’avenir au-delà d’aujourd’hui. Car À l’ombre des jeunes filles en fleurs n’est pas un livre de 1919, mais une œuvre universelle. Une œuvre qui est aujourd’hui non seulement traduite dans toutes les langues mais lue dans le monde entier dans sa langue originale, en français. Considérable sera le rôle de Proust, de 1919 à aujourd’hui, dans le rayonnement de la culture française. Si bien que l’attribution du prix à Proust est hautement patriotique : la France de 1919 a cédé la préférence à la France de toujours.

Une péripétie survient cependant pour envenimer la polémique. L’éditeur Albin Michel fait annoncer (il est plus ou moins l’inventeur des annonces payantes, dans l’histoire de l’édition) Les Croix de bois en grosses lettres : PRIX GONCOURT, puis en lettres beaucoup plus petites : 4 voix sur 10. Proust parvient de justesse à retenir Gallimard d’intenter un procès pour « vol de publicité ». Du reste, cet échec au Goncourt n’empêche pas Roland Dorgelès d’atteindre le succès, à court et à long terme. Son roman, qui obtient le prix Femina, se vend plus qu’À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Et Dorgelès succédera en 1929 à Georges Courteline dans l’Académie Goncourt, dont il devient le président de 1954 jusqu’à sa mort en 1973. Interrogé longtemps après sur cette ancienne affaire du prix Goncourt, il devait répondre qu’il avait été a posteriori heureux de ne pas avoir été primé en 1919, parce que personne au xxe siècle ne lui aurait ensuite pardonné d’avoir été celui qui l’avait emporté sur Marcel Proust. On interprète parfois cette réponse comme un signe d’amende honorable. On peut aussi l’interpréter en sens exactement inverse.

C’est durant l’année 1920 que se développent les réactions des journalistes à ce prix Goncourt. On pourrait de fait parler aujourd’hui d’un véritable lynchage médiatique. L’auteur des Jeunes filles en fleurs est décrété trop vieux, trop riche pour obtenir un tel prix ; de plus, on le sait, alors que l’armistice du 11 novembre 1918 est encore tout proche, il n’a pas pris part aux combats, il est resté alité au 102 boulevard Haussmann. Le titre du volume primé, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, en comparaison des tranchées, des mutilés de guerre, sonne comme si insouciant, si léger, si accordé avec les premières années du xxe siècle, qui ne sont plus et ne reviendront jamais.

Se découvrir inconnu

Revenons ici à Léon Daudet. Le ténor du mouvement politique a mené une bruyante campagne en faveur du volume, et emporté la décision (six voix contre quatre à Roland Dorgelès pour Les Croix de bois) à coups de poing sur la table. Cependant que L’Humanité titre, contre Proust, « Place aux vieux » à l’annonce du prix, et que la presse essentiellement de gauche se déchaîne, le romancier vilipendé trouve un refuge dans L’Action française, qu’il lit chaque jour avec réconfort (« En ouvrant mon Action française quotidienne avant de m’endormir », dit une lettre inédite de Proust). Et chaque jour ou presque en effet, le quotidien de Charles Maurras, Léon Daudet et Jacques Bainville trouve le moyen d’évoquer l’œuvre de Proust, directement à travers les analyses perspicaces, souvent en avance de plusieurs décennies, de Léon Daudet, ou par allusion, s’agissant de la politique contemporaine : l’antiparlementarisme, l’idéal du classicisme français, le dégoût de la décadence, qui animent les rédacteurs, trouvent à s’exprimer à travers un éloge incessant de Proust.

Écoutons un instant Léon Daudet analysant l’œuvre de Proust : « Dans son inextricable diversité, nous la voyons [la vie d’un homme, le héros] distribuée symboliquement : le Côté de Swann et le Côté de Guermantes, les deux directions de la route, notre droite et notre gauche, l’attitude d’un homme qui sort de chez lui et s’oriente, sans perdre jamais cet obscur sentiment propre à chacun d’être le centre des choses, l’axe de la sphère immense qui gravite autour de lui et avec lui se déplace »2 ; il soulignera deux ans plus tard : « Étrange fortune de Proust. Dans le moment que le roman d’analyse était condamné par des juges pressés, il le sauve, en l’illustrant. Tel est le pouvoir de la nouveauté, quand elle n’est pas chimérique »3.

Du côté de Proust, nous trouvons cette émouvante note, consignée dans un cahier de brouillon de la Recherche : « À chaque époque de la vie, l’oubli de ce qu’on a été est si profond chez les contemporains, faits il est vrai de jeunes gens qui ne savent pas encore, de vieillards qui ont oublié, qu’on est obligé (moi prix Goncourt) de faire face si connu qu’on ait été, à l’ignorance du milieu ambiant. Et si nous tenions à ce qu’on ne dise pas sur nous les folies qu’engendre le besoin de parler, nous serions obligés de décliner nos titres et qualités, de dire qui nous étions de l’autre côté du temps, nos dernières années étant comme un pays inconnu où nous débarquons et où ceux qui l’habitent n’ont jamais entendu prononcer notre nom ».

Profonde restitution d’une expérience intérieure, celle du lauréat du prix Goncourt considéré dans l’avant et dans l’après de sa destinée littéraire. Au moment où l’écrivain est mis en pleine lumière par cette distinction, lui-même, dans son identité fondée sur son passé, passe dans l’ombre. L’écrivain primé n’a plus, dirait Bergson, d’évolution créatrice. La consécration de l’œuvre crée chez son auteur une identité nouvelle : il faut qu’il ne soit plus lui-même pour qu’elle commence à pleinement exister. L’écrivain primé aborde à une nouvelle rive, qui est celle de son œuvre reconnue, et où lui-même se découvre inconnu parmi ce nouveau public de son œuvre. Seul Proust pouvait, semble-t-il, dégager avec une telle subtilité l’expérience, pour un auteur, de son prix littéraire.

 

1Thierry Laget, Proust prix Goncourt : une émeute littéraire, Gallimard, 2019.

2.  L’Action française, « Sur Marcel Proust », 21 novembre 1920, p. 4.

3. Ibid., 23 janvier 1922, p. 4.

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