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Pierrette Mari et l’attraction des sommets

La compositrice et musicologue Pierrette Mari, mémoire de la vie musicale française de la seconde moitié du XXe siècle, évoque son riche parcours artistique. Entretien réalisé Par Damien Top

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Pierrette Mari et l’attraction des sommets

Fille d’un brillant journaliste et homme de radio, Dégy Mari, et d’Henriette Corot, cantatrice à l’Opéra de Nice, « j’ai passé toute ma jeunesse dans un milieu artistique et musical. » Au lycée, la jeune Pierrette était plutôt portée sur les sciences : mathématiques et biologie, ce qui n’obéra en rien le succès de ses études musicales : quatre prix (piano, solfège, harmonie, histoire de la musique) couronnèrent son cursus au conservatoire de Nice. Elle se vit de surcroît attribuer le Grand Prix de la Ville (1946) pour récompenser cette prouesse. À 20 ans, elle s’enthousiasma pour les exploits de Maurice Herzog à la conquête de l’Annapurna et se prit de passion pour l’alpinisme. La méditerranéenne conçut dès lors pour la montagne un amour qui ne se démentira jamais et qu’elle transposa dans l’univers sonore, par exemple dans Alpes et Alpilles pour violoncelle et piano. Entre 1955 et 1969, elle composera même des Escalades sur un piano dédiées au célèbre alpiniste.

Du Conservatoire à la Sorbonne

Un accident de poignet modifia son orientation professionnelle. « Je ne pouvais plus envisager une carrière pianistique. J’ai donc préparé l’École du Louvre mais en vérité j’étais fascinée par le Conservatoire. » Après avoir travaillé en cours privés avec Paule Maurice, à laquelle elle estime tout devoir, Pierrette Mari entra en 1950 au Conservatoire National de Musique de Paris simultanément dans les classes de Noël Gallon et Olivier Messiaen. « Ce fut un enchantement, confie-t-elle, j’avais des professeurs extraordinaires. » Parmi ses condisciples, mentionnons Michel Legrand ou Jacques Toja, ami d’adolescence auquel elle consacrera un Hommage à Jacques Toja pour orchestre en 2003. Elle remporta un premier prix de contrepoint (1953) et un premier prix de fugue (1954). Le gouvernement autrichien lui alloua ensuite une bourse pour participer au colloque sur les « Rapports entre Théâtre et Musique ».

« L’année 1957 a marqué toute ma vie : j’ai rencontré Marguerite Long, qui me confia la lourde responsabilité d’être l’attachée de presse du concours Long-Thibaud, tâche que j’ai exercée pendant six ans. J’ai ainsi fréquenté tous les grands artistes de l’époque (Samson François, Annie Jodry, David Oïstrakh, Christian Ferras, …). L’autre rencontre déterminante fut celle d’Henri Dutilleux. Une durable et profonde amitié nous liait. Il me confia la rédaction de toutes les analyses de ses créations. »

Après avoir obtenu un double C.A. d’État (histoire de la musique et esthétique), Pierrette Mari fut titularisée à l’université de Paris IV-Sorbonne en 1983. Outre ses activités d’enseignante, elle fut productrice à l’ORTF et titulaire de rubriques dans différents journaux (Guide du concert, Lettres françaises, Nice-Cannes-Midi,…). En tant que musicologue, elle collabora à la rédaction de dictionnaires d’histoire de la musique mais surtout fut la première à écrire un livre sur Olivier Messiaen (qui vient d’être traduit en japonais) et signa la toute première biographie d’Henri Dutilleux. En 1988, son ouvrage sur Béla Bartók lui valut l’attribution d’une médaille par le Comité Béla Bartók de Budapest qui lui fut remise par le professeur Jean Gergely.

Une musique pétillante et colorée

À l’image de leur auteur dont la curiosité est en constant éveil, ses partitions sont vives, dynamiques et inventives. Quelques jalons essentiels parmi un catalogue de quelque 140 numéros : Psaumes, cantate biblique pour récitant et orchestre (1954) ; Divertissement pour flûte et orchestre (1954) ; Trois Mouvements pour cordes (1954) qui obtinrent beaucoup de succès ; Le Sous-préfet aux champs, ballet provençal (1956) ; Concerto pour guitare (1971) composé pour Alexandre Lagoya ; Il était un hautbois (1984), concerto créé par Pierre Pierlot.

Les titres évocateurs reflètent tour à tour ses aspirations spirituelles (Habitacle pour l’imaginaire, Plaidoyer pour une chimère, Corollaire d’un songe), les mystères de la nature (Couleurs en triade, Écho plein d’oubli, à la mémoire de Jeanne Loriod), les attaches avec sa région natale (Arche de bronze solitaire pour ondes Martenot, piano et batterie, dépeignant les grottes des Baux de Provence ; D’une amphore oubliée s’échappent des sirènes pour harpe), l’humour bienveillant, notamment dans ses partitions pédagogiques (La comète tenue en laisse, Pirouettes en Saxe).

Entretien avec Pierrette Mari

L’Union Nationale des Arts vous a décerné le Grand Prix de la Mélodie Française en 1961. Nourrissez-vous une affection particulière pour la musique vocale ?

J’ai écrit deux recueils de poésie : Limailles en pleurs, à l’atmosphère introspective, et divers tableautins réunis sous le titre d’En Provence. Un troisième, En montagne, sommeille encore dans mon tiroir… D’où mon attention aux mots. Il existe une manière particulière de traiter une mélodie, il faut sentir le rythme, la cadence, l’ambiance, et c’est le poème qui entraîne la musique. J’ai produit une quarantaine de mélodies. Puget, Valéry, Apollinaire, Lorca, Eluard, Rilke, Aragon m’ont inspirée mais j’ai aussi mis en musique des poètes féminins comme Louise Labé (Dialogues avec Louise Labé pour voix et cordes, 1979), la félibrige Noune Judlin (Les sources partaient en voyage, 1964) ou la nordiste Andrée Brunin (Dans l’espace figé, 2012).

Comment définiriez-vous votre style ?

Je me suis toujours refusée à adopter un style, j’écris de façon très spontanée et authentique. J’ai toujours cherché à ce que la mélodie l’emporte sur l’argument sonore. Je me sens par exemple très proche de Roussel, que j’avais découvert à Nice, et évidemment de Ravel.

Quel regard portez-vous sur la vie musicale actuelle et la création ?

Longtemps occultés par la tyrannie exercée par le Domaine Musical à partir des années 50, les compositeurs de toutes tendances reviennent de nos jours à l’affiche. Je m’en réjouis. On entend à nouveau Delvincourt, Ibert, Schmitt, Daniel-Lesur, Françaix.

Où pourrons-nous vous entendre prochainement ?

Le Festival Présences Féminines de Toulon, fondé par Claire Bodin, m’a récemment invitée. Je partageais cet honneur avec Michèle Reverdy, dont on a créé l’opéra Cosmicomiche. Je dois retourner à Nice pour une rétrospective sur le cinéma tourné pendant la Seconde guerre mondiale pour rendre hommage à Jacques Toja. En septembre sera donnée la création d’un nouvel opus : Des notes en trio à Nice et à l’automne, un concert-hommage aura lieu Festival International Albert-Roussel dans le nord.

Avez-vous des projets d’écriture ?

Ah ! J’ai surtout envie de détruire les choses auxquelles je ne tiens pas, avant de me lancer dans une nouvelle composition. Curieusement, je n’ai actuellement rien en chantier mais j’ai des demandes, notamment de la part de saxophonistes. Comme Dutilleux, j’ai l’angoisse de laisser une œuvre inachevée…

À lire, de Pierrette Mari :
  • Olivier Messiaen, l’homme et son œuvre, Ed. Seghers, 1965
  • Béla Bartók, Ed. Hachette, 1970
  • Henri Dutilleux, Ed. Hachette, 1974
  • En Provence, Ed. Zurfluh, 1988

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