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Petit Tour de France musical

L’actualité discographique nous entraîne à travers les provinces françaises, révélant des trésors artistiques à découvrir.

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Petit Tour de France musical

Parce que la presse avait reproché à son précédent opéra Clari (pourtant créé par La Malibran – et redonné récemment par Cecilia Bartoli) de n’être pas en style italien, Jacques-Fromental Halévy répliqua en 1829 avec une spirituelle pochade qui remporta un brillant succès et totalisa plus d’une centaine de représentations. Créé six ans avant La Juive, qui le propulsa au firmament des étoiles du grand opéra historique français, Le Dilettante d’Avignon tournait en dérision l’italianisme outrancier envahissant alors les scènes lyriques.

Vengeance avignonnaise

Le livret de François-Benoît Hoffman, (et non d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, comme l’écrit étourdiment le musicologue Étienne Jardin dans la brochure de présentation !), par ailleurs auteur des arguments de la Médée de Cherubini ou de la Stratonice de Méhul, fut terminé par Léon Halévy, frère du compositeur. Il s’attaquait à la vogue rossiniste qui sévissait sous Charles X et à l’opéra italien en général, fustigeant de surcroît les critiques, « ces prétendus connaisseurs, qui sans avoir fait aucune étude, décident en souverains. » 

L’histoire présente un directeur de l’opéra d’Avignon prétendant « qu’il n’est pas permis aux Français de bien chanter […] Aussi cet excellent homme s’est italianisé des pieds à la tête. Il se nommait Maisonneuve, il se fait appeler Casanova. » Trucs et tics d’écriture du bel canto sont dénoncés et ridiculisés, notamment la façon dont l’opéra italien construisait des passages entiers sur la répétition de quelques mots. La scène VIII entre Elise et Casanova puise sans complexe sa drôlerie dans Le Bourgeois Gentilhomme, référence accentuée par l’interprétation d’Arnaud Marzorati. Le jubilatoire chœur final, pastiche plus rossinien que nature où se muche l’air Malborough s’en va en guerre, plaide en faveur des «  talents unis » et en appelle à une paisible fusion des deux styles : « Confondez donc l’usage/ Et de Florence et de Paris. » Une distribution homogène et très satisfaisante ressuscite cet élégant Dilettante d’Avignon que Michel Piquemal dirige avec compétence malgré un ensemble instrumental manquant de pétillance. 

Mythique Orléanais 

Philippe Ferro et son excellent Orchestre d’Harmonie célèbrent la région Centre avec des fresques commandées en 2012 afin de rendre hommage à deux personnalités ayant marqué Orléans : Jeanne d’Arc et Jean Zay. 

Au ministre du Front populaire, initiateur d’actions novatrices en faveur de l’éducation et des arts, emprisonné en 1940, assassiné en 1944, entré au Panthéon en 2015, est dédié un triptyque hétéroclite pour baryton, ensemble à vent et percussions, confrontant Dutilleux (Eloignez-vous), Michaël Levinas (envoûtant Trente-six ports) et Tôn-Thât-Tiêt (intriguant et perturbant A l’angle du chemin de ronde) sur des poèmes de Jean Cassou, Max Jacob et Jean Zay lui-même.

D’une tout autre dimension apparaissent les six tableaux de la Fresque musicale sur la vie de Jeanne d’Arc sur des textes assemblés par Claude-Henry Joubert. Philippe Ferro s’est inspiré du rêve inabouti de Maurice Ravel qui souhaitait composer une Jeanne d’Arc sur le texte de Joseph Delteil. Il a ainsi sollicité la fine fleur des compositeurs français qui rend justice à la Sainte : le prélude pastoral de Jacques Castérède dépeint « Domrémy, l’enfance », Michel Merlet parvient à nous envoûter avec la rencontre de Chinon et la présentation à Charles VII, Roger Boutry s’attaque avec panache et brio au siège d’Orléans, Désiré Dondeyne traite avec beaucoup d’émotion les épisodes de l’arrestation à Compiègne et du jugement à Rouen, Ida Gotkovsky nous livre un poignant épisode du bûcher et Edith Canat de Chizy conclut magnifiquement avec « Et c’est le souvenir… » en déployant sa maîtrise orchestrale sans pareille sur un texte de Charles Péguy.

La direction de Ferro illumine ces pages musicales puissantes et raffinées. Remarquable par la qualité de sa conception et par l’unité de sa réalisation, la fresque mériterait une ample diffusion en France par le relai des nombreuses sociétés harmoniques. 

Bretagne éternelle

Grand Prix SACEM 2016, Benoît Menut exalte sa Bretagne natale en compagnie de ses talentueux complices de l’Ensemble Gustave, réunissant trois partitions fortes et caractéristiques, inspirées par une contrée mystérieuse et fascinante. Réussite totale que ce disque-voyage ! 

La Troisième sonate pour violon et piano de 1927 de Joseph-Guy Ropartz donne le ton : «  Emancipé de l’héritage cyclique franckiste, et des références à une certaine musique debussyste ou ravélienne, il exprime en une synthèse heureuse, comme chez le Fauré du dernier âge, son chant intime. » 

Le magique Trio à cordes de Jean Cras, vice-amiral et major général de la place de Brest, où sa statue domine l’océan, constitue le meilleur de ce disque. Cras composait en mer pendant ses heures de veille et mentionna sur sa partition : « à bord du Lamotte-Piquet, 1926. » Autant que de son expérience de navigateur, son univers particulier se nourrit d’effluves orientaux. 

Vibrant quatuor avec piano, les Stèles (2017) de Benoît Menut puisent leur lyrisme tempétueux dans la poésie du brestois Victor Segalen. Solidement charpentées, âpres, dynamiques, sensuelles, elles classent ce musicien parmi nos meilleurs compositeurs actuels. 

La flûte capitale

Le label Indésens consacre une série d’enregistrements à « Paris 1900 », célébrant la facture instrumentale qui se développa entre la Commune et la Grande Guerre, imposant l’école française des vents comme l’une des meilleures du monde. Après le cornet et le hautbois, voici un florilège d’œuvres pour flûte magnifiquement joué par Vincent Lucas et Laurent Wagschal. 

Outre Debussy (Epigraphes antiques, le livret ne nous indique malheureusement pas le nom de l’arrangeur), Fauré (dont un rare Morceau de Concours), Ravel et Roussel (Joueurs de flûte, à l’interprétation sage et soignée) – incontournable quatuor du début du XXe siècle –, le mélomane se réjouira d’entendre les pièces d’André Caplet, Mel Bonis (une révélation que sa Sonate de 1904 d’un charme exquis !) et Cécile Chaminade (Concertino de 1902, très classique morceau de concours). Un programme généreux et enchanteur.

 

Halévy, Le Dilettante d’Avignon, solistes, chœurs et orchestre Régional Avignon Provence, Michel Piquemal, Klarthe K073

Hommages à Jean Zay et à Jeanne d’Arc, Orchestre d’Harmonie de la Région Centre, Philippe Ferro, Klarthe K003

Bretagne[s], œuvres de Ropartz, Cras et Menut, Ensemble Gustave. Klarthe K091

Paris 1900, the art of the flûte, œuvres de Bonis, Chaminade, Debussy, Ravel, Roussel, Caplet, Vincent Lucas, Laurent Wagschal, Indésens, Inde153

 

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