Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Soulagement, surprise, sentiment qu’enfin le pape François se charge de défendre la doctrine de l’Église… Entre l’impatience de voir une revendication moderniste enfin honorée et la crainte du démantèlement du célibat sacerdotal dans l’Église latine, une fébrilité tous azimuts avait gagné le monde catholique à l’approche de la publication de l’Exhortation apostolique Querida Amazonía. D’un ton – par endroits – inespérément traditionnel, le texte a déçu les impatients et tranquillisé les inquiets. Mais pour ces derniers, ne s’agirait-il pas d’une forme d’anesthésie ?
Le pape François a-t-il réellement fermé la porte à l’ordination des hommes mariés ? Mieux – ou pire, c’est selon – n’a-t-il pas posé les fondations d’un nouveau type de culte « adapté » aux Indiens d’Amazonie ?
Le pape François nous a habitués depuis le début de son pontificat à son remarquable art du flou. Lui qui s’est dit « fourbe » en accédant à la chaire de Pierre est passé maître dans les techniques d’enfouissement de sa pensée : c’est l’ouverture à la communion des divorcés-« remariés » au détour d’une note de bas de page dans Amoris laetitia, ou l’expression d’une affirmation ouvertement hérétique à travers un entretien invérifiable avec ce vieux coquin athée de Scalfari. Sans refaire toute l’histoire de ce pontificat de la confusion, il est possible d’affirmer qu’en ce qui concerne le célibat sacerdotal, Querida Amazonía cultive une semblable obscurité.
Cela faisait plusieurs années qu’on nous annonçait l’utilisation du synode sur l’Amazonie pour la mise en place de l’ordination des hommes mariés ou à tout le moins, selon la dernière version, de diacres permanents mariés. Il y avait là une logique : comme pour le rôle des femmes dans la liturgie à travers un ministère ordonné, assez clairement écarté quant à lui par l’Exhortation, il s’agissait de tenir compte des particularismes culturels des indigènes, qui ne conçoivent pas un homme adulte qui n’ait femme(s) et enfants. Or les mots de « prêtres mariés », de viri probati et de « célibat sacerdotal » sont totalement absents de l’Exhortation. Il est au contraire question, et longuement, des pouvoirs du prêtre qui ne peuvent être délégués au laïc. Rappel utile, sans doute, mais il ne répond nullement à la question posée.
Au contraire, le paragraphe 87 de Querida Amazonía assure que « la manière de configurer la vie et l’exercice du ministère des prêtres n’est pas monolithique, et acquiert diverses nuances en différents lieux de la terre ». On retrouve ici en substance le discours que le pape François a développé depuis que l’on s’agite autour de l’affaire des viri probati : dès le mois janvier 2019, lors de son voyage de retour des JMJ de Panama, il citait la phrase de Paul VI : « Je préfère donner ma vie plutôt que de changer la loi sur le célibat. » Et d’ajouter : « Ma décision est : non au célibat est optionnel avant le diaconat. »
Mais quelques phrases plus loin il ajoutait, à propos de la possibilité d’ordonner des sortes de sous-prêtres uniquement chargés de célébrer la messe, de confesser et de donner l’onction des malades : « Je crois que le thème doit être ouvert en ce sens pour les lieux où il y a un problème pastoral à cause du manque de prêtres. Je ne dis pas qu’il faut le faire, je n’y ai pas réfléchi, je n’ai pas suffisamment prié sur ce point. Mais les théologiens en discutent, il faut qu’ils étudient. »
Cette porte-là n’est nullement fermée par Querida Amazonía. La solution est au contraire implicitement envisagée dans la phrase citée plus haut. En présentant « officiellement », dès les premiers paragraphes de l’Exhortation, le calamiteux Document final du synode, qui évoque l’ordination de diacres mariés, François va d’ailleurs plus loin, reprenant peu ou prou à son compte tout ce qui s’est dit de bizarre, d’hétérodoxe, d’indigéniste et même de panthéiste dans ce texte préparé par le Réseau pan-amazonien (REPAM) des hiérarques de l’Église catholique de la région.
« Je rêve de communautés chrétiennes capables de se donner et de s’incarner en Amazonie, au point de donner à l’Église de nouveaux visages aux traits amazoniens. » Exhortation apostolique post-synodale Querida Amazonia du Saint-Père François au peuple de Dieu et à toutes les personnes de bonne volonté.
Ici encore, l’ambiguïté joue à plein. Il est vrai que le directeur de la Salle de presse du Vatican ainsi que le cardinal Baldisseri, secrétaire général du synode, ont insisté et répété : le Document final ne fait pas partie du magistère de l’Église. Mais le secrétaire spécial du synode, le cardinal jésuite Michael Czerny, proclamait lors de la même conférence de presse que cette présentation officielle de la part du pape confère au document final « une certaine autorité morale ». L’ignorer « constituerait un manque d’obéissance à l’autorité légitime du Saint-Père, mais juger tel ou tel de ses points difficile ne saurait être considéré comme un manque de foi », ajoutait-il.
Hélas, tapie dans l’ombre se trouve la Constitution apostolique Episcopalis communio de 2018 qui confère aux documents finaux des synodes une autorité magistérielle. Dans quelles conditions ? Il se trouve des canonistes pour dire que l’article 18 de cette Constitution donne bien au Document final son statut de participation au « Magistère ordinaire du successeur de Pierre », ce pour quoi il suffit qu’il soit « approuvé expressément par le Pontife Romain ». On peut prévoir de nombreuses discussions à ce sujet – l’approbation a-t-elle été expresse ou non dans l’Exhortation ? – mais selon certains il n’y a pas de doute possible. L’optimisme des plus traditionnels paraît à cet égard mal avisé.
Ajoutez à cela que Mgr Victor Manuel dit « Tucho » Fernandez, très proche de François et auteur réel des paragraphes les plus discutables d’Amoris laetitia, voit dans l’Exhortation un modèle inédit de synodalité puisque le Document final est cité tel quel, et vous comprendrez que tout est en fait possible.
La raison pour laquelle on réclamait l’ordination d’hommes mariés en Amazonie – en dehors de la vraie raison, sous-jacente, de l’adéquation avec la culture indigène – était la difficulté d’accès aux sacrements, notamment de la pénitence et de l’Eucharistie, dans les zones les plus reculées des territoires autochtones.
Querida Amazonía ne fait pas de ce besoin un tel absolu qu’il faudrait automatiquement songer à l’ordination sacerdotale des hommes mariés, diacres permanents. En revanche, l’Exhortation propose plusieurs solutions : prier pour les vocations (quoi de plus classique ?), revoir de fond en comble la formation (plus inquiétant…), envoyer généreusement des missionnaires dans les territoires les plus déshérités. Ce sont celles qui exaspèrent les éléments progressistes au sein de l’Église.
Mais aussi : donner de plus grandes responsabilités aux diacres permanents qui devraient être « beaucoup plus nombreux », aux religieux et aux laïcs. À eux d’« annoncer la Parole, enseigner, organiser leurs communautés, célébrer certains sacrements, chercher différentes voies pour la piété populaire et développer la multitude des dons que l’Esprit répand en eux », dans le respect notamment de « l’expérience spirituelle » des autochtones. C’est « le développement d’une culture ecclésiale propre, nettement laïque » – le pape insiste sur ces derniers mots – qui est recherché. Une sorte de culte sans prêtres, perçu comme un don du Saint-Esprit. Comme les Assemblées dominicales en l’absence de prêtres – sauf qu’ici, ces ADAP ne seraient plus considérées comme un pis-aller.
Il y a là quelque chose de très nouveau qui se dessine, quelque chose d’« inculturé » : avec ou sans messe, une liturgie propre à favoriser « des expressions autochtones en chants, danses, rites, gestes et symboles ». Il serait décidément prématuré de dire que l’orthodoxie a emporté cette bataille. D’autant qu’il y en aura d’autres.