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Nicolas Bacri, le classique moderne

Rompant avec la musique atonale de ses vingt premières partitions écrites dans les années 1980, le prolifique Nicolas Bacri (né en 1961) est revenu peu à peu au sentiment tonal. La parution d’une sélection de sa musique de chambre, Da Camera, brosse un juste portrait de ce créateur hors du commun.

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Nicolas Bacri, le classique moderne

« Ma musique n’est pas néo-classique, elle est classique, car elle retient du classicisme ce qu’il a d’intemporel : la rigueur de l’expression. Ma musique n’est pas néo-romantique, elle est romantique, car elle retient du romantisme ce qu’il a d’intemporel : la densité de l’expression. Ma musique est moderne car elle retient du modernisme ce qu’il a d’intemporel : l’élargissement du champ de l’expression. Ma musique est post-moderne car elle retient du post-modernisme ce qu’il a d’intemporel : le mélange des techniques d’expression.1 » Il aime à se définir comme n’étant « ni d’avant-garde, ni d’arrière-garde, mais sur-ses-gardes ». Son inspiration se veut libre, son style sans contrainte mais toujours accessible au plus grand nombre. D’où l’impression de familiarité et parfois de « déjà entendu » à l’écoute de son langage qui ne dépayse ni ne choque le mélomane averti.

Un tel consensus explique peut-être que son catalogue de plus de 170 opus soit joué dans le monde entier : deux opéras, huit cantates, sept symphonies, douze concertos, onze quatuors à cordes, sept trios avec piano, quatre sonates pour violon et piano, deux sonates pour violoncelle et piano, etc. L’avenir dira s’il y a vraiment lieu de le considérer comme « le compositeur français le plus important depuis Messiaen et Dutilleux2 »

Musica da Camera

Le label Passavant nous propose une immersion dans sa musique de chambre qui atteste de bout en bout d’une exigence esthétique élevée. Le livret comporte des commentaires éclairants et indispensables signés par Nicolas Bacri lui-même. Le Notturno ed Allegro (2019) pour violon, alto et piano nous plonge d’emblée dans l’écriture de la maturité conjuguant force et sensibilité. La partition est remarquablement architecturée selon les canons classiques. La fugue est bâtie sur les lettres de B.A.C.R.I. dont le miroir I.R.C.A.B. constitue le thème de l’Allegro. « Dans ce trio, nous confie l’auteur, il m’est apparu qu’un affrontement amical entre virilité et féminité avait bien lieu et qu’il débouchait sur un apaisement où la féminité avait le dernier mot. »

Œuvre de jeunesse assez développée, la Sonata da Camera (1977) pour alto et piano débute par un Andante et Scherzo échevelé et virtuose affirmant les exceptionnelles qualités d’écriture du compositeur et son attention envers la forme qui a toujours caractérisé sa production. Le Pezzo elegiaco et le final traité en variations apparaissent moins inspirés et plus conventionnels.

Son 6e nocturne pour piano seul intitulé Tenebrae fut écrit pour le Concours International de piano Clara-Haskil de 2017. Sous ses allures de barcarolle sombre et inéluctable, il étire un chant d’une poignante intensité où les sonorités du glas se répercutent sur les flots glacés de l’Achéron. La tension engendrée par l’ostinato rythmique maintient notre oreille dans la fascination. Sorte d’Ile des morts pianistique, cette lugubre méditation constitue un des sommets de l’œuvre du compositeur.

Innovation et tradition

Le thème initial de la Sonate n°2 (2002) pour violon et piano s’éploie dans la gravité avant d’être bousculé par d’énergiques et rugueux soubresauts. La conception générale reflète l’exigence extrême de Bacri pour la forme et pour l’expressivité. L’Elégie centrale s’épanche lyriquement dans la mélancolie et le Rondo varié s’achemine « d’une certaine insouciance teintée d’espièglerie vers une gravité profonde et irrémédiable » à l’instar de La plaisanterie de Milan Kundera dont le principe, avoue le musicien, inspira ce mouvement parodique. Dans le but de réconcilier le public avec la musique de notre temps, Nicolas Bacri s’efforce de « véhiculer des contradictions afin de créer une tension et une résolution de cette tension qui soient considérées en elles-mêmes comme une des solutions possibles aux conflits qui secouent la création musicale depuis la première œuvre atonale significative jamais écrite, le Deuxième Quatuor à cordes op. 10 de Schoenberg (1907-08). »

Concluant le programme de ce disque, la Sonata Variata (2001), dans l’esprit des partitas du répertoire baroque, est confiée à l’alto solo. Les atmosphères contrastées des trois brefs mouvements captent notre attention. La deuxième partie, Toccata rustica, qu’une bourrée interrompt en son mitan, est particulièrement bienvenue.

La violoniste Elizabeth Balmas et le pianiste Orlando Bass, qui ont approfondi leur interprétation avec le compositeur, jouent ces partitions avec une frémissante musicalité et un engagement remarquable. La prise de son limpide en Home-Concert accentue l’impression de naturelle proximité avec les artistes.

L’incursion proposée par cet enregistrement dans l’univers de Nicolas Bacri, où l’innovation ne perd jamais de vue la tradition, peut se compléter par la lecture stimulante de Notes étrangères. Il y règle ses comptes avec le dogme sériel et nous livre ses réflexions sur la place de la musique et de la création dans le monde d’aujourd’hui.

 

À écouter : Nicolas Bacri, Da Camera, Elizabeth Balmas, Ornado Bass, 1 CD Passavant.

À lire : Nicolas Bacri, Notes étrangères et autres écrits sur la musique, L’Harmattan.

 


Les lecteurs de Politique Magazine bénéficient d’une entrée libre sur réservation pour les concerts du Festival International Albert-Roussel du 13 septembre au 13 décembre.

  • Dimanche 5 octobre à 17h00, Châtellerie de Schoebeque à Cassel, Récital de piano Miren Adouani, La belle époque des Geloso : Chopin – Roussel – Chaminade – Bigazzi – Geloso.
  • Dimanche 19 octobre à 17h00, Château de Morbecque, Récital de piano, Vincent Martinet, L’âme de la forêt : Roussel – Schumann – Skriabine.

Le programme complet est disponible sur le site : https://ciar.e-monsite.com

Renseignements/ Réservations : 09 53 63 32 08 et albertroussel@free.fr

 

1. Nicolas Bacri, Notes étrangères, L’Harmattan.

2. John Borstlap, The Classical Revolution : Thoughts on New Music in the 21st Century, Dover.

 

 


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