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Molière inattendu

À l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de Molière, deux parutions originales ont retenu notre attention : les éditions genevoises La Joie de Lire publient un réjouissant conte pour enfants sur l’éveil de sa vocation tandis qu’Eve de Castro – situant l’action de son livre au moment de ses funérailles – explore en iconoclaste un envers du décor pour le moins surprenant.

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Molière inattendu

Un pacte secret ? La théorie fut esquissée en 1919 par Pierre Louÿs dans un article intitulé Molière est un chef-d’œuvre de Corneille : l’auteur du Cid aurait écrit la plupart des pièces de Molière ! Elle fut relancée au cours des années 2000 par les études linguistiques de Cyril et Dominique Labbé, de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, attribuant à Corneille seize des pièces de Molière. Denis Boissier développa longuement les arguments en faveur de cette hypothèse dans L’affaire Molière (éditions Godefroy, 2004). Puis les travaux sur la reconnaissance des formes de Mikhaïl Maroussenko et Elena Rodionova, de l’Université d’état de Saint-Pétersbourg la confirmèrent en 2010 jusqu’à ce qu’une étude stylométrique, statistique et textuelle menée en 2019 par Florian Cafiero, chercheur au CNRS, et Jean-Baptiste Camps, de l’École nationale des chartes, prétende infirmer les résultats antérieurs et démontrer que Molière est bien l’auteur de ses chefs-d’œuvre. Quel sera le prochain rebondissement de ces batailles d’experts ? L’affaire est-elle enterrée pour autant ? 

Sous forme romanesque, Eve de Castro ravive la question avec audace. Pour elle, pas de doute : il y eut un pacte secret entre les deux génies. S’appuyant sur de solides connaissances historiques, elle nous offre un récit habilement réparti entre six personnages, dont les témoignages se succèdent, s’entremêlent et se complètent. Au jour de l’enterrement de Molière, le 21 février 1673, elle se glisse dans la peau de Corneille (Mon nom est Pierre), de son épouse Marie (Je suis l’Épouse), d’Armande Béjart (Je suis la Désirée), de Madeleine Béjart (L’Accoucheuse), de Michel Baron (Ils m’appelaient le Petit) et même de Poquelin intervenant d’outre-tombe (Je suis l’Intouchable). L’emploi de la première personne accroît efficacement l’impression d’intimité. Chacun des protagonistes se remémorant les années passées auprès de Molière nous confie son expérience personnelle au fil des chapitres. « C’est l’histoire de deux hommes, Molière et Corneille, qui aiment une femme, Armande Béjart, mais aussi l’histoire de deux femmes, Armande et Madeleine Béjart, autour de Molière » précise par ailleurs Eve de Castro. Ce point de vue polyphonique – sorte d’alternance de monologues théâtraux –, enrichit notre perception des évènements et permet une immersion probante dans le quotidien du XVIIe siècle que l’auteur affectionne tout particulièrement. Nous revivons l’ascension artistique du comédien, de l’Illustre théâtre à la salle du Palais-Royal, ses difficultés, ses amours, ses collaborations et rivalités avec le vieux Corneille. La musicalité de la langue employée, émaillée de tournures raffinées, restitue l’humanité des êtres et la chair de ce temps. Remarquablement documenté, mais sans s’encombrer de détails argumentaires, le roman trouble le lecteur, aiguise sa curiosité et l’incite à poursuivre l’enquête. « Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable » avertissait déjà Boileau…

 Eve de Castro, L’autre Molière, 349 p., L’Iconoclaste.

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