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Mesdames les bêtes

Frère François, l’authentique, le saint, parlait aux plus humbles créatures de Dieu avec grand respect. Francis Grembert écrit dans le même esprit un Éloge de l’alouette (éd. Arléa) plein de gentillesse, au sens où cette qualité fait le gentilhomme.

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Mesdames les bêtes

Francis Grembert est né dans une ferme pas très loin de la chaumière où naquit ma mère, chaumière dans laquelle j’ai passé des vacances de conte. Je ne me souviens pas spécialement de l’alouette, mais des épinoches, des salamandres, des grenouilles, des vaches, des cochons et des chevaux, les lourds chevaux de trait. Je dois avoir une mémoire de cul-terreux, alors que lui a la cervelle aimantée par les nuages. N’empêche que je fraternise totalement avec lui, que je partage son chagrin de vivre aujourd’hui, son goût de la nature heureuse, son amour de ce qui fait une joyeuse vie d’homme. Dont on nous prive de plus en plus chaque jour, avec une cruauté de tortionnaires retors.

L’auteur écrit une longue lettre à l’alouette, cet oiseau qui, en son enfance, incarnait la joie dans un petit corps emplumé, et qui a presque disparu aujourd’hui, exterminé par le progrès chimique. Il y a une généalogie funeste, évidente selon lui, de l’ypérite au DDT, du zyklon B au glyphosate. « La même vieille histoire toujours recommence ». La folie des hommes conçoit et produit des poisons qu’elle répand avant de s’apercevoir, vingt ans et vingt millions de morts plus tard, qu’elle a fait une légère erreur dans ses calculs. Mais cette découverte ne nous corrige en rien, puisque « nous continuons le chemin de nos pères idiots des années 1960 et 1970 et des apprentis sorciers, bardés de diplômes, qui savaient si bien leur vendre des cornes de fausse abondance. » Alors, l’auteur se permet un coup de fol enthousiasme, et se dit que, puisque « la raison nous a conduits dans une voie sans issue, [faisons] place aux poètes, aux barges et aux alouetteurs », en se promettant toutefois de ne leur permettre que l’essentiel : « faire ce que doit pour que » l’alouette revienne « nous enchanter. » Parce que la présence de l’alouette « était la preuve que tout était en ordre, que rien ne manquait à l’appel : larves, vermisseaux, champignons et autres micro-organismes à profondeur de soc. » Et voilà le livre qui se met en marche lui aussi, avec la cohue des bons auteurs qui ont chanté l’alouette et ses merveilles !

Le président de toutes les alouettes de France

On voit qu’on a affaire à un écolo d’avant le déglinguement des cervelles, un amoureux de la vie telle qu’elle nous est donnée dans nos jardins, un sage de la Grèce ancienne, de ceux qui croyaient que le monde était une harmonie garantie par les dieux, qui eux-mêmes en faisaient partie, un cosmos, comme le rappelle Socrate à Calliclès dans le Gorgias de ce bon Platon. Alors il écrit, et nous invite à écrire chacun selon notre amour de telle ou telle bête, afin d’irriguer nos imaginaires, de « dire la volupté du vivant », de retrouver ce temps « où toute chose agricole, tombereau basculant, clôtures, barbelés, moissonneuse-batteuse, se mêlait à des contes » afin de « faire du monde une histoire qui a un sens ». Un univers de conte qui fait de « l’homme de l’Élysée […] le président de toutes les alouettes de France, y compris les migrantes, des hérissons, des grenouilles, des renards », car on ne retrouve le bonheur perdu que par l’invention poétique, la fréquentation de ces sorciers qui savent sortir de la langue un monde de merveilles grâce à leurs formules magiques. Et non les marchands en toutes impostures, qui vous assomment de projets « tellement habillés de vert que ça en fait mal aux yeux » ; l’auteur nous en présente quelques-uns en les déchiffrant, en les dépouillant de leurs défroques « citoyennes ».

Arrêtera-t-on « le rouleau-compresseur » ? « Sa puissance ne faiblit pas », il ne dévie pas. « Qui écoute les poètes ? Qui même les lit ? » Soyons donc de ces derniers qui gardent « l’œil aux aguets » ; épargnons-nous « la faiblesse de croire que les mots peuvent changer quoi que ce soit », mais restons amoureux de ces mots magiquement agencés, qui tuent en émerveillant.


Un grand maître de cet art reste Alexandre Vialatte, dont les éditions Arléa publient un Bestiaire magique, avec des dessins de Philippe Honoré, sur des textes choisis par Michaël Lainé. Trois artistes se sont unis pour fabriquer cette machine à s’envoler – « je parle au moral, bien entendu ». Le fond est d’Alexandre, le génial emboîteur de mots, auquel les dessins d’Honoré ajoutent un commentaire mystérieusement amical ; quant au choix de Lainé, il éclaire, révèle, enseigne, il se fait silex afin que grouillent les étincelles dans le ciel de l’Auvergnat majuscule. Enseignement premier : l’homme est un animal parmi les autres. Tout le monde le sait, me direz-vous. Sans doute, mais chacun l’ignore. Avec entêtement, mauvaise foi, superbe et paonnerie. En mettant dans le même bestiaire des animaux et des hommes, Lainé nous fait toucher du doigt l’art du grand Alexandre d’Ambert, qui regarde et peint les bêtes comme il regarde et peint l’homme, la femme, l’Italien, le Russe, le Turc, et – point capital – lui-même. Du coup, alors qu’on aurait pu le traiter de misogyne, de raciste, de xénophobe et de je ne sais quel autre mot infâmant, on est bien obligé de voir en lui un moraliste, celui qui décrit les vivants du règne animal avec un œil mi-savant mi-incrédule. Et c’est encore un enseignement d’une profondeur de puits artésien : le vrai savant doit être un incrédule ; alors que le vrai croyant doit croire « de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit » à ce qu’il croit, l’authentique savant doit rester celui qui ne croit qu’à moitié à ce qu’il sait, qui doit se souvenir en permanence qu’il ne sait presque rien de ce qu’il sait.

Cela posé, le recueil commence par le loup, et c’est bien normal, car le loup « est une des grandes nécessités de l’histoire, du folklore et de l’esprit humain » ; c’est cependant une énigme, car « on ne sait pas où il vote, où il achète son pain, mais on sait qu’il vient d’Angoulême », au moins, « dans le dictionnaire » consulté par l’auteur. Néanmoins, il est indispensable, car « sans le loup pas de froid de loup, sans froid de loup pas d’hiver. » Où l’on voit que l’art d’Alexandre le Bougnat consiste à peindre les animaux comme s’ils faisaient tellement partie de la culture des hommes, et particulièrement des Français, qu’ils n’existeraient que par leur langue et grâce à leurs expressions. Et voilà qui est d’une vérité aveuglante, car sans les hommes, qui parlerait des bêtes ? qui raconterait leurs aventures, décrirait leurs anatomies et leurs mœurs ? Personne. C’est bien pourquoi dans la Genèse les animaux sont amenés devant Adam pour qu’il les nomme, c’est-à-dire, selon la pensée des anciens Hébreux qui n’étaient point des sots, pour qu’il leur donne l’existence. Il faut donc conclure que le plus grand théologien et le plus essentiel des exégètes est notre fameux Alexandre de Magnac-Laval. CQFD, comme disait dans le brouhaha du chahut celui de mes profs de maths qui m’a le plus fait rire.

L’homme, un salsifis songeur…

S’il est théologien de haute graisse, il est donc excellent connaisseur de l’homme. Écoutons-le prêcher. Mes frères, « l’homme vient du singe, dit-on, et il va au cimetière. Telle serait sa zoologie. Que fait-il en chemin ? De tout. Des zigzags. […] Ces zigzags constituent l’histoire. » Ce que j’ai remplacé par trois points entre crochets est capital. C’est la raison pour laquelle je l’ai supprimé. Afin de vous inciter à le découvrir en achetant le livre et en le lisant. Attentivement, lentement, longuement. En n’en perdant pas une miette. Parce que ce livre contient tellement de savoureuses miettes qu’il pourrait à lui seul nourrir toutes les alouettes que regrette et chante Francis Grembert. Mais trêve de digression oiseuse, revenons à l’homme.

D’où vient l’homme ? se demandait Gauguin. Alexandre connaît la réponse : « généralement, c’est d’une bouche de métro. » On peut conclure de cette remarque que le texte d’où elle est extraite date de la période parisienne de l’auteur. En voici d’une autre : « L’homme est vraiment zoologique. Il n’y a qu’à voir ses cheveux jaunâtres, ses yeux fidèles, son poil frisé ; il ressemble à un chien de berger. » Alexandre, toujours grandiose, est capable de débattre avec les plus grands esprits. Ainsi, « l’homme serait un roseau pensant » selon Pascal. « Disons plutôt un roseau pensif… Ou même songeur… Disons un salsifis songeur. » Voilà comment le penseur de Clermont-Ferrand corrige magistralement le vérificateur du Puy-de-Dôme.

Cependant, vous pourriez désirer apprendre ce qu’il faut penser de l’ornithorynque, du dytique, du varan, ou même de la puce, « qui a quelque chose d’humain » ? Soyez rassurés : Alexandre en parle, et aussi de « l’escargot, [qui] nous donne de grandes leçons ». Quand vous aurez lu ce Bestiaire, plus rien ne vous étonnera, je vous l’assure, au point que les facéties ubuesques de Sordrine Nausseau vous paraîtront « vraiment zoologiques ». Jugez de ce que vous y gagnerez !

 

Éloge de l’alouette, Francis Grembert, Buchet-Chastel, 2023, 101 p., 16 €.

Bestiaire, Honoré, Alexandre Vialatte, Arléa, 3e édition, 160 p., 11 €.

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