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Memento mori

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Memento mori

En 1949, une voix singulière se fit entendre. Alors que sur les ruines encore fumantes de l’Europe se donnaient la main l’impérialisme américain et l’impérialisme soviétique, Cioran publiait Précis de décomposition, dont il faut relire aujourd’hui les premières lignes: « En elle-même toute idée est neutre, ou devrait l’être ; mais l’homme l’anime, y projette ses flammes et ses démons ; impure, transformée en croyance, elle s’insère dans le temps, prend figure d’événement : le passage de la logique à l’épilepsie est consommé… Ainsi naissent les idéologies, les doctrines, et les farces sanglantes».

On peut imaginer la stupeur des premiers lecteurs de Cioran. Aussitôt, une sourde rumeur se répandit. Il convenait de placer autour de Cioran des contre-feux. Et d’abord, qui était-il ? Né à Rasinari, dans les Carpates, le 8 avril 1911, peut-être y aurait-il à redire sur la partie roumaine de sa vie. Et voici le premier accroc: le 8 février 1933 est annulée la conférence qu’il devait faire sur le thème du «Nihilisme spirituel», dans le cadre d’un colloque interdit par les autorités. A peu de là, très exactement le 8 avril, jour de ses vingt-deux ans, il écrit: «J’éprouve une étrange sensation à la pensée d’être, à mon âge, un spécialiste de la mort». Et le voilà boursier de l’université Friedrich-Wilhelm de Berlin, où, dans l’effervescence politique du moment (je rappelle que nous sommes en 1933, annus horribilis par excellence), il rédige article sur article et en appelle à la «transfiguration» de la Roumanie, avec un radicalisme dont il trouve des modèles dans le mouvement «légionnaire» roumain – ou Garde de Fer – de Corneliu Zolera Codreanu, et dans le national-socialisme hitlérien.

Son compte est bon. Cioran sent le soufre. C’est un suppôt de l’enfer. Les charges contre lui seront d’autant plus violentes que son Précis de décomposition fait mal. L’attaquer dans sa personne, c’est essayer de ruiner sa pensée. Vieux système, mis au point en d’autres temps par la Sorbonne notamment. Mais c’est ignorer que son premier aphorisme en français, noté en 1938 dans le carnet de promenades, énonçait : « Il n’y a qu’un homme contre qui je dois me défendre toujours : c’est moi-même ». Ce qui réduit à néant les critiques et les dénis dont il est l’objet, puisque ces critiques et ces dénis ne concernent que le dehors des choses, quand la démarche de Cioran est tout intérieure.

Cioran est à soi-même son propre juge. Dénonce-t-il la «généalogie du fanatisme», c’est qu’il redoute de perdre sa «faculté d’indifférence», ajoutant: «On ne tue qu’au nom d’un dieu ou de ses contrefaçons: les excès suscités par la déesse Raison, par l’idée de nation, de classe ou de race sont parents de ceux de l’Inquisition ou de la Réforme». Est-ce assez clair? «Le fanatique, lui, est incorruptible : si pour une idée il tue, il peut tout aussi bien se faire tuer pour elle ; dans les deux cas, tyran ou martyr, c’est un monstre». Est-il lignes plus appropriées à notre époque, où les attentats éclatent comme autant de fleurs vénéneuses dont les poisons rendent fous ?

Ainsi se déploie, livre après livre, le «savoir nocturne», que Cioran appela aussi le «non-savoir»- lequel repose sur la seule vérité qui vaille: la mort, notre propre mort, à l’aune de laquelle se mesure, jour après jour, notre vie. Autant dire que, désespéré, lucide, Cioran ne se paie pas de mots: ni certitudes, ni convictions ; mais un dynamitage quotidien de ce qui aide les autres à vivre et dont ils finissent par être les dupes volontaires.

D’une certaine façon, Cioran a pratiqué le suicide quotidien de son moi social, de son moi culturel, de son moi familial, de son moi spirituel, en vue d’une vie plus haute, plus exigeante, plus noble. Et surtout, en vue de faire émerger du tréfonds de soi ce Seigneur qui est en chacun de nous, cette part du Divin, cet Être magnifique qui a partie liée avec la Mort, puisqu’il est la Vie même.

Diable de bonhomme! Dans De l’inconvénient d’être né, se trouve cet aveu qui nous tend sans doute la clé d’une vie, la clé d’une œuvre, la clé de cette âme de foudre et de cendres : «On reconnaît à ceci celui qui a des dispositions pour la quête intérieure: il mettra au-dessus de n’importe quelle réussite l’échec, il le cherchera même, inconsciemment s’entend. C’est que l’échec, toujours essentiel, nous dévoile à nous-mêmes ; il nous permet de nous voir comme Dieu nous voit, alors que le succès nous éloigne de ce qu’il y a de plus intime en nous et en tout».

Cioran, édition présentée et annotée Nicolas Cavaillès, bibliothèque de la Pléiade, 63 euros.

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