Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Historien, enseignant, Franck Favier est notamment l’auteur de biographies de Bernadotte (Ellipses, 2010) et Berthier (Perrin, 2015). Chez ce dernier éditeur, il a également donné en juin un portrait utile et mesuré du maréchal de Marmont, qui servit son ami Napoléon Bonaparte dans l’artillerie, au Conseil d’État, comme gouverneur d’Alexandrie puis des Provinces-Illyriennes, et à la tête d’un corps d’armée. Auteur de la défection d’Essonnes, Marmont sauva Paris en 1814, mais trahit l’Empire. Il servit la Restauration, jusqu’à réprimer – sans excès ni succès – les Trois Glorieuses (28-30 juin 1830). Marmont a connu fortune et infortune. Courageux, voire téméraire, bon organisateur, mais piètre tacticien, très orgueilleux, il est une figure du traître dans la France de la première moitié du XIXe siècle.
Durant la campagne de France (1814), Marmont combat l’armée de Silésie, soutenant Napoléon à Sézanne et prenant Reims. Mais il retraite trop tard le 25 mars 1814, attendant Mortier au lieu de gagner aussitôt Fère-Champenoise, où il est vaincu le 25 mars. Le 30, le Maréchal succède à Joseph comme commandant en chef dans la défense de Paris. Il poursuit le combat contre les troupes alliées, puis use de son autorisation d’entamer des pourparlers avec l’ennemi. Marmont capitule, mais refuse de faire quitter la capitale à ses troupes par la route de Rennes, ce qui priverait Napoléon de tout secours. Or l’opinion parisienne est favorable à la chute de l’Empire, les banquiers Laffitte et Perrégaux fils (beau-frère d’Auguste) sont résolus à la restauration des Bourbons et Talleyrand s’emploie à le circonvenir en jouant sur son orgueil. L’Empereur, avec qui le Tsar déclare refuser de traiter, veut attaquer le 5 ou le 6 avril les 130 000 soldats alliés retranchés dans Paris. C’est compter sans le Sénat qui déchoit Napoléon le 2 avril et nomme Talleyrand chef d’un gouvernement provisoire. Ce dernier exploite la vanité de Marmont, lequel aurait consulté ses généraux avant d’accepter par traité secret passé avec Schwartzenberg de replier son 6e corps d’armée en Normandie et de le placer sous l’autorité du gouvernement provisoire. Marmont obtient en échange la vie sauve pour Napoléon et sa souveraineté dans un espace limité. On suivra ou non Favier dans un jugement sans outrance mais pas sans chaleur : « Si on ne peut reprocher au maréchal la capitulation de Paris, la convention secrète échangée le 4 avril est contraire à l’honneur, à l’amitié, même faite pour sauver la patrie. […] Pris au jeu de la vanité, [Marmont] se voyait en nouveau Monck » (p. 191). Pendant ce temps, Napoléon, sous la pression de ses maréchaux, consent à abdiquer à Fontainebleau au profit de son fils. Atterré par cette abdication conditionnelle qui prive de sens ses propres négociations, Marmont maintient la défection de son corps d’armée, mais ne gagne pas la Normandie et se rétracte vis-à-vis de Schwartzenberg. Or le 5 avril les généraux du 6e Corps (qui croient leur défection découverte) prennent peur et se mettent en route vers la Normandie, trahissant l’Empereur qui s’apprête à reprendre le combat, désavouant Marmont et présentant une armée désunie. Le duc de Raguse parvient à grand-peine à calmer ses troupes révoltées par la trahison, et uniquement parce qu’elles le croient ignorant de cette défection menée par leurs officiers. Il parvient à leur faire reprendre la route de la Normandie, c’est-à-dire qu’« il d[oi]t opter franchement pour le nouveau régime pour ne pas compromettre sa position et celle de la France » (p. 198). Alors le 6 avril, Marmont signe avec Schwartzenberg la convention prévue, qu’il antidate du 4 avril afin de protéger ses généraux. Le même 6 avril, Napoléon abdique inconditionnellement. À Sainte-Hélène, il dira : « Marmont m’a porté le dernier coup ; le malheureux, je l’aimais. »
La trahison d’Essonnes est expliquée diversement par les contemporains : Ségur l’attribue à l’orgueil, Sainte-Beuve au patriotisme ou à ses généraux (ce qui somme toute est incompatible), la comtesse de Boigne à une simple « impulsion », Thiers à la nécessité de couvrir ses hommes. Favier indique utilement que l’on ne peut prouver la prise d’intérêts financiers malgré le soutien de Laffitte et Perrégaux à la restauration et que selon Macdonald le rang de Marmont était trop élevé pour qu’il aspirât à recevoir de nouveaux honneurs, cette fois des Bourbons. L’auteur rappelle aussi qu’il y eut d’autres girouettes, y compris militaires (Ney, Berthier, etc.).
Marmont est dès lors méprisé ou moqué. Il divorce. Et si en 1814 Marmont a agi trop tôt, en 1830 il agit trop tard. Commandant les troupes dans Paris, de convictions libérales, il sait qu’il faut rapporter les ordonnances prises sous le ministère Polignac. S’il refuse de tirer au canon sur la foule, si le renouvellement de sa fidélité aux Bourbons ne lui vaut aucune reconnaissance de la part du comte d’Angoulême qui lui saute littéralement à la gorge (craignant qu’il ne trompe le Roi comme il a trompé « l’Autre »), il connaît dès lors l’exil. C’est le duc de Reichstadt, à qui il donna à Vienne des cours particuliers sur l’épopée de son père, qui cerne le mieux ce maudit de l’Empire : « Marmont n’est pas un mauvais sujet, mais il a la malchance de voir échouer toutes ses entreprises comme par exemple : son mariage, ses affaires financières, ses spéculations commerciales, son activité politique […]. Marmont n’est point méchant, il n’est que malheureux ».
Par Bernard Aloivine