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L’odyssée inachevée de Mœbius

On connaissait Les Inachevés de Chaland, L’Alph-Art d’Hergé. Il faudra désormais compter avec Arzak : Destination Tassili – Corpus Final, le testament graphique de Mœbius. Après Arzak l’Arpenteur, Jean Giraud, alias Mœbius, revient d’outre-tombe avec ce Corpus Final, un ouvrage-somme aussi fascinant qu’inclassable.

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L’odyssée inachevée de Mœbius

À la simple évocation du nom d’Arzak, les amateurs de bande dessinée pensent à cette silhouette longiligne, chapeau pointu vissé sur le crâne, juchée sur une étrange monture volante au-dessus d’un désert sans fin. Une icône. Créé dans les années 1970 dans les pages de Métal Hurlant, Arzak est le pur produit du Mœbius visionnaire : muet, contemplatif, toujours aux aguets d’une anomalie qui dérangerait l’ordre minéral de son monde. L’action y est secondaire. Ce qui compte, c’est la perception, l’étrangeté, l’attente. Le vertige.

Le volume publié aujourd’hui par les éditions Mœbius Production se découpe en trois temps. D’abord, une republication d’Arzak l’Arpenteur, dans une version colorisée par ordinateur qui redonne à l’œuvre une lecture plus fluide, plus lumineuse, presque cinématographique. Ensuite, une suite inédite, sans parole, dessinée à l’encre de Chine : une quinzaine de pages d’une grande pureté graphique, où la narration se fait exclusivement par l’image. Enfin, une troisième partie composée de recherches, de scénarios inachevés, de pistes de narration abandonnées ou explorées, ainsi que d’un cahier d’illustrations commentées.

Ce dernier volet est sans doute le plus touchant. Car il nous plonge au cœur du processus créatif de Mœbius. On y lit les hésitations, les intentions, les ambitions démesurées. On y découvre aussi combien l’artiste restait un expérimentateur infatigable, ouvert aux nouvelles technologies comme aux formes narratives les plus libres. Le lecteur devient alors témoin d’un projet interrompu, mais toujours vivant, vibrant. Une œuvre ouverte au sens propre. En refusant la clôture, Mœbius laisse la place au lecteur pour imaginer, extrapoler, ressentir. Comme toujours chez lui, l’univers importe plus que l’intrigue. Chaque planche est une porte ouverte sur un monde parallèle, chaque silence un appel à la rêverie.

Cet ouvrage n’est pas seulement un objet pour collectionneurs ou initiés. C’est un adieu pudique, un legs artistique d’une cohérence rare. En s’arrêtant net, Corpus Final nous rappelle que certaines œuvres n’ont pas besoin de se terminer pour nous accompagner longtemps. Mœbius nous prouve une fois de plus qu’il n’était pas seulement un dessinateur de génie : il était un poète des espaces, un arpenteur de l’invisible. Et ce voyage-là, même inachevé, reste inoubliable.

 

Moebius, Arzak : Destination Tassilli, Corpus Final. Moebius Production, 2025, 248 p., 39 €

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