Le Docteur Adel ne paye pas de mine. Ce n’est pas un héros de série américaine ni un tombeur.
Cet Égyptien copte de soixante-douze ans n’est extérieurement plus un jeune premier. Son sourire angélique est le seul attribut qui le ferait remarquer dans une capitale européenne. Là, l’observateur scruterait pour une fois les effluves de la joie intérieure. Cette joie chrétienne, mordante et tendre, qui offre la liberté face au monde en nourrissant l’inquiétude pour ses membres.
SOS chrétiens d’Orient connait bien le Docteur Adel. Les dirigeants profitent de ses colloques et les volontaires de son infatigable énergie, C’est à l’amitié de Marie Gabrielle Leblanc, critique d’art chez France Catholique, que nous devons sa rencontre. Personne ne sort véritablement indemne de la fréquentation de celui qui fut le bras droit de Sœur Emmanuelle pendant une vingtaine d’années. Marie-Gabrielle Leblanc résume d’ailleurs sa popularité dans sa préface au livre témoignage d’Adel Ghali, L’Appel du Royaume, paru chez Artège : « Docteur Adel ! Tout le monde le connaît, chacun le hèle, l’accroche au passage, pour lui confier tel ou tel maux dont il souffre ».
Les pauvres ont la dent dure. Ils reconnaissent mieux que personne les faussaires et les exploiteurs, les jobards et les louches. C’est pour cela que la reconnaissance des pauvres est tellement précieuse. Elle est soucieuse, rare, infinie. Qui a vu le Docteur Adel sortir du métro du quartier bidonville d’Ezbt El Nakhl sait combien notre homme en est paré. Pas un pas, pas un mètre sans un signe, un hochement, une embrassade ou une confidence. Plus on s’approche du cœur nucléaire pestilentiel du quartier des chiffonniers, souvent fort d’une dizaine de minutes de touk touk, mieux on comprend que l’homme s’habitue à tout, surtout au pire, et que le Bien chasse toujours le Mal, comme l’odeur de sainteté s’impose aux pestilences.
Dans son récit, le Docteur Adel conte sa rencontre avec la détermination de Sœur Emmanuelle, sa jeunesse classique de la classe moyenne égyptienne et ce grand chamboulement qui lui aura donné envie de tout quitter. Jamais l’homme ne fait dans le pitoyable. Son premier chapitre, intitulé « Merveilleux », explique les immenses progrès qu’il décèle sur le plateau du Moqatam pour la condition sociale des habitants. Il faut le voir pour le croire…
C’est bien cela, le Docteur Adel, un cœur qui s’émerveille de tout mais sans naïveté. Le Français qui croirait en effet parcourir nonchalamment un énième récit cauteleux de la biographie de Sœur Emmanuelle sera vite déçu. Les anecdotes sont précises et les réflexions ne cessent de fuser : « Un espèce de brouillard froid semble s’être abattu sur l’Europe. On dirait que les âmes ont des rhumatismes », ou, sur les tourments confortables d’une certaine bourgeoisie française : « il faudrait peut-être une association comme SOS chrétiens d’Occident pour les aider à revenir à une foi plus simple ».
L’admonestation est vigoureuse, à la hauteur de la tendre foi du médecin, parfaitement illustrée par le cahier de photographies très touchantes inséré au milieu de l’ouvrage. Le destin unique de Sœur Emmanuelle est parfois sujet à polémiques ou à exploitation en Occident. La preuve des bienfaits de son action tient à la solidité de ceux qui ont suivi son œuvre sur le terrain égyptien. En un temps où l’on fait du charisme de fondateur et d’inspirateur une sorte de visa pour la suspicion, il est bon de contempler les trésors inventés par la foi ardente. Et de sentir, un peu plus, l’odeur de la sainteté.