Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Il y a si peu d’intelligence dans notre temps surinformé que, lorsqu’elle apparaît, elle saute aux yeux. Je ne parle pas de l’intelligence abstraite, brillante, mais de celle du cœur et des situations. Sur un sujet difficile et piégé d’avance par les bons sentiments (qui sont à l’opposé de l’intelligence) comme celui des « migrants », Matthieu Falcone nous offrait une leçon d’humanité exigeante avec son premier roman, Un Bon samaritain (Gallimard, 2018). Ce roman remarqué et prometteur nous montrait d’emblée que Falcone cultivait l’esprit de charité (pas seulement bien ordonnée), la défiance envers les préjugés et les mots d’ordre politique, tout cela dans le registre difficile de la satire. Un genre risqué à l’ère plate du soupçon et de l’inquisition permanente. Avec ce nouveau roman accueilli chez Albin Michel et propulsé dans la lumière de la rentrée littéraire, sobrement intitulé Campagne (mais c’est tout un monde que ce mot, profond et charnel), Matthieu Falcone poursuit sa peinture des enjeux contemporains dans une veine assez proche. Et il confirme qu’il est un pur romancier. Ici la satire s’efface devant le drame, l’humour devant l’inquiétude, le burlesque devant la poésie. Car on n’aura rien dit d’un livre si l’on ne parlait pas du style de son auteur. La voix propre à Matthieu Falcone s’affermit encore : l’art de mêler le langage populaire au langage soutenu, des dialogues crus et des descriptions délicates, et un sens de l’observation né d’une curiosité amoureuse pour l’incroyable diversité des types et des comportements. On dira peut-être de l’auteur qu’il choque et provoque, mais il n’y a pas de méchanceté chez Falcone, puisque les hommes sont tous frères, que chacun peut être sauvé.
Avec Campagne, Matthieu Falcone reprend un fil laissé dans Un Bon samaritain, roman urbain qui faisait une incursion en un coin paumé du Périgord. Ici l’auteur s’intéresse « aux idées de la ville » lesquelles, à la faveur du besoin de changement de vie (et le « confinement » a confirmé ce processus), débarquent dans la ruralité avec leurs gros sabots (ou plutôt leurs épaisses baskets « commerce équitable »). Mais l’auteur ne condamne personne, à la manière de son narrateur, Robert, un retraité vivant dans une ferme isolée et dont les enfants ont d’ailleurs rejoint la ville. Robert, sans doute un poète qui s’ignore, un homme modeste qui s’intéresse aux autres, qui a gardé sa faculté d’étonnement. Il a vu arriver la « première vague » des soixante-huitards, puis la seconde plus récente des bobos, qui ne ressemblent pas du tout aux premiers, et d’autres, plutôt cathos ou plutôt anarchos, et puis il y a toujours les inamovibles « indigènes » du cru, presque sauvages, pas forcément bons… Dans ce décor, dans cette atmosphère nouvelle, une tragédie s’annonce sur fond de drôlerie (avec l’alter ego maudit de Robert, le personnage du « Fou »), et l’on se croirait à la fois chez Jean Giono et Olivier Maulin. Matthieu Falcone est un nouvel écrivain à suivre, qui confirme encore le pouvoir de la littérature à dire le réel et sonder les âmes.