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L’insoutenable éclat de l’intelligence… et des ciels bretons

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L’insoutenable éclat de l’intelligence… et des ciels bretons

D’abord parce qu’il a une belle couverture – ce n’est pas rien, la couverture d’un livre ; c’est comme une belle tenue de soirée, qui marque qu’on respecte les gens qu’on va rencontrer. Ensuite, c’est un livre sans coquilles ; à notre époque où les plus grands éditeurs se passent de correcteurs sérieux, qu’un modeste imprimeur ait l’exquise politesse de ne pas laisser de fautes dans ce qu’il propose mérite l’éloge. Et puis, voilà des textes soignés, écrits dans une belle langue vigoureuse, nuancée, subtile, avec toutes les habiletés d’un homme de plume qui connaît son métier. Enfin, on nous livre des observations savoureuses, des anecdotes croustillantes, des inventions hilarantes et profondes, avec le doigté, la finesse, la pénétration d’un homme d’esprit. On se croirait dans un salon où se côtoieraient magiquement La Fontaine, La Bruyère, Saint-Simon, Flaubert, Proust, et bien sûr, Bloy et Bernanos pour la rosserie sanctifiée par l’amour de la vérité, toujours bonne à dire quand elle fait tellement plaisir à ceux qui en sont friands par-dessus tout, avant tout parce qu’ils savent qu’elle rend libre.
Car ce recueil est une fantastique déclaration d’amour à la vérité, partout recherchée, dénichée, mise au jour, avec frénésie, avec passion, avec curiosité, avec acharnement, et présentée aux yeux éblouis des amateurs dans la parure des mots les mieux choisis pour la faire scintiller, briller, s’épanouir sous nos yeux !
Les sujets les plus variés sont abordés, puisqu’il s’agit de chroniques écrites au fil des jours dans les deux dernières années. Elles forment un tableau, une fresque, une épopée de l’imbécillité de notre société, regardée avec stupeur, colère, dédain, bref, en passant par tous les sentiments qu’un honnête homme ressent en tentant l’exploration d’une décadence aussi diabolique que celle que nous offre notre civilisation en voie de décomposition avancée. C’est bien là l’état d’âme de Bruno Lafourcade : fasciné par ce cadavre qui pue, il en observe les mouvements de larves, comme Baudelaire regardait sa charogne, tentant à son tour d’en tirer quelque chose de grand.
Ce qu’on extrait du laid, c’est la quintessence de la beauté, par l’alchimie de l’art qu’on met à peindre l’horrible, le sale, le pourri. Merveilleuse leçon : peindre la décadence permet de faire montre d’un talent d’artiste, d’une maîtrise dans son métier, d’un amour de la chose bien vue, bien dite, et bien pensée. Triomphe de l’intelligence, du talent, de la grandeur de l’homme ! Quelle lumière ! Et quel plaisir de voir la justesse des peintures, la précision des analyses, la profondeur des diagnostics. Car l’auteur nous fait comprendre d’où vient la maladie qui détruit tout, et nous le faisant comprendre, il nous donne médecine et vaccin contre elle, il nous sauve du désespoir de croire que le mal triomphe, comme le spectacle abominable des choses et des êtres, livré à l’état brut, pourrait nous le faire penser. Mais non ! tant qu’il y aura la possibilité de voir clair, de dénoncer, de stigmatiser, de se délecter de la saveur des mots qui cernent le mal, et de l’esprit qui s’en joue, nous serons sauvés. L’intelligence et l’art forment l’arche qui surnage et transporte les semences d’une nouvelle éclosion. C’est l’esprit, c’est la vie, c’est la beauté qui ont l’avenir pour eux, non les asticots qui grouillent dans la viande avariée. Les savants audacieux osent affronter la terrible beauté des dissections, afin d’en tirer des leçons salvatrices ; ainsi fait Bruno Lafourcade, avec abnégation, avec héroïsme, avec bonheur.
Une telle cure de grand large tempétueux donne envie d’aller en Bretagne. Et pourquoi pas accompagner Marie Sizun, qui nous y invite fort agréablement dans La maison de Bretagne (éd. Arléa) ? Claire, qui travaille à Paris, a hérité d’une maison en Bretagne, qu’elle loue à des vacanciers ; mais voilà qu’il faut faire des travaux, qu’elle en a assez, et décide de vendre. Elle prend un congé d’une semaine pour se rendre sur place faire le nécessaire. Mais pour quelqu’un qui a vécu des vacances merveilleuses au cours de son enfance et qui croit l’avoir oublié, il est risqué de revenir sur les lieux enchantés. Curieux comme les écrivains se souviennent de l’importance des lieux où l’on a poussé quelques racines, comme nous l’évoquions en décembre. Mais ici, il y a plus. « La maison de Bretagne, c’était la Bretagne, sa lumière, ses couleurs, ses parfums ! Et ses gens, surtout ses gens, qui en sont l’âme vive, avec leur gentillesse, leur simplicité, leur énergie. Sans eux, elle n’existerait pas, ma maison ! »
Les gens, Claire va en avoir besoin, elle qui débarque dans une maison où trop de choses manquent. Pas de confort, pas de nourriture, certes. Mais bien plus encore, des êtres perdus, la grand-mère Berthe, la mère, distante et froide, le père surtout, un artiste peintre, celui qui s’est en allé chercher le succès en Amérique du Sud, qui y est mort accidentellement, que la petite fille a accompagné jusqu’au car, lui jurant qu’elle ne l’oublierait jamais. Et elle ne l’a jamais oublié, puisqu’elle continue de peindre en amateur pour lui être fidèle, et qu’elle va croire le retrouver dans ce jeune homme aux « cheveux très blonds, en courtes mèches désordonnées » qui est couché dans le lit de sa grand-mère, réalisant le rêve de l’enfant abandonnée, « que mon merveilleux père était de retour ». Bien sûr, c’est une folie de le croire, mais revivre « le vieux rêve, intact », ne serait-ce que « l’espace d’une seconde », c’est un événement colossal. Voilà comment se met en route une machinerie à revivre, à renouer avec le passé, la sœur lointaine, les hommes, les amies de la mère, un monde repoussé dans la nuit par un refus ennuyé de vivre.
C’est la maison de Bretagne qui reprend possession de Claire. Elle qui a servi de refuge à un couple de paumés, dont le jeune homme blond, qu’elle a gardé mort afin que Claire doive annuler ses rendez-vous pour la vente, parce que la police vient, que tout est chamboulé des projets de liquidation, qu’un petit journaliste veut prendre des photos, faire un papier pour le canard local, et que ce petit jeune homme habite à côté, dans une rue où Claire jouait avec sa sœur, du temps béni qu’elles étaient vraiment deux sœurs, et qu’une brave dame les regardait courir avec attendrissement, parce qu’il y a du vent, de la pluie, ces tempêtes qui faisaient si peur à la mère mais que Claire aimait, elle s’en souvient, comme elle aimait cet « étrange brouillard blanc » qui enveloppe « un silence absolu, intense, anormal », et finit « par s’ouvrir sur un ciel éclatant […] comme si le monde venait de naître. » Cette maison est un ventre maternel.
Alors, elle va rendre à Claire cette mère qu’elle n’avait pas su comprendre, ni aimer, grâce à l’amitié d’Yvonne, la femme de ménage et la confidente, elle qui fait partie de ces gens qui sont la Bretagne. Retrouver sa mère grâce à une maison, apprendre à l’aimer, comprendre un peu le drame amoureux que son père a vécu avec cette femme secrète, qui rêvait d’être publié et ne le fut pas. Le chagrin dont elle fut abreuvé se transforme en force de vie pour Claire qui le découvre. « Maudite maison. Ma vie. Ma lumière. »
Bien sûr, elle ne vendra pas, elle reviendra peindre, tenter de saisir cette lumière, les ciels de Bretagne, leurs couleurs surprenantes, délicates et mystérieuses. Une histoire douloureuse, qui finit sans mièvrerie par une leçon de courage. La vie est simple. Elle nous invite à nous battre pour la mener à son port, et c’est ce combat qui est le bonheur d’être.
Marie Sizun et Bruno Lafourcade se ressemblent : ce sont des guerriers. Leurs livres font de leur combat une œuvre pour la mémoire, la leur, et celle des lecteurs.

  • Les Cosaques & le Saint-Esprit, Bruno Lafourcade, La Nouvelle Librairie, 350 p., 16,90 €
  • La maison de Bretagne – Marie Sizun, Arléa, 400 p., 20,90 €

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