Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

L’heure est venue de prendre des romans coups de poing dans la figure : bienvenue sur le ring

Facebook Twitter Email Imprimer

L’heure est venue de prendre des romans coups de poing dans la figure : bienvenue sur le ring

Adeline Dieudonné, née à Bruxelles, publie son second roman après La vraie vie, paru en 2018 et récipiendaire des prix du roman Fnac, des Lectrices de Elle, du Renaudot des lycéens et du principal prix littéraire belge, le Rossel. Ce premier roman de l’écrivain belge était déjà un texte coup de poing, une révélation, un peu comme le furent 37°2 le Matin de Philippe Djian, plusieurs romans de Maurice G. Dantec, ceux de Michel Houellebecq ou encore, aujourd’hui, ceux de Patrice Jean, L’homme surnuméraire et le récent et terrible La poursuite de l’idéal (éallimard, 2021). Des romans qui, comme ceux d’Adeline Dieudonné, entrent en phase avec l’époque où ils sont écrits, comme indissociables. Dans La vraie vie, qui a conquis plus de 300 000 lecteurs, Adeline Dieudonné mettait en scène une narratrice de 10 ans par les yeux de laquelle le lecteur voyait la vie véritable des gens. Celle d’une banlieue sinistre. Nos vies. Il en va de même avec ce nouveau roman, Kerozene, texte acerbe qui dézingue la vie moderne à tout va, l’air de ne pas y toucher et avec force humour très noir. Une des particularités des deux romans est d’être à la fois très réalistes, et de ce fait concrètement troublants quant aux illusions de notre société, et un tantinet orientés « fantastique » pour La vraie vie, roman noir pour Kerozene. La lecture de ce dernier est une vraie claque, tant par son style ciselé et incisif, où chaque phrase atteint sa cible, que par sa construction ou la silhouette de personnages, à la fois si proches de nous, nos voisins en somme, et désœuvrés, perdus dans une modernité elle-même perdue. C’est une particularité de Kerozene : l’histoire se déroule autour d’une station-service, elle commence à 23 h 12 et se termine à 23 h 14. Durant ces deux minutes, l’écrivain nous plonge dans la vie de ses personnages et le roman commence ainsi : « 23 h 12. Une station-service le long de l’autoroute, une nuit d’été. Si on compte le cheval mais qu’on exclut le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise ». Ce sont quatorze vies qui vont apparaître sous nos yeux ainsi que les liens tissés entre elles, la station-service n’étant que le lieu où ils se trouvent. Et ces vies, ce sont les nôtres. Des vies désemparées où plus rien n’a de sens, pas même l’amour devenu sexe ou plutôt simples « baises ». Adeline Dieudonné n’a pas la langue dans sa poche et, derrière le ton de l’humour, elle ne rate pas la société dans laquelle nous vivons, versant sexualité mais pas seulement. Un exemple parmi beaucoup ? Écologistes, abstenez-vous, il y a quelques phrases qui dépotent. Un roman qui interroge le sens de l’existence et fustige ce que notre époque a d’absurde. On n’en sort pas indemne.

Adeline Dieudonné, Kerozene, L’iconoclaste, 2021, 250 p., 20 €
Adeline Dieudonné, La vraie vie, Livre de Poche, 2018

Deuxième claque : le deuxième roman de Thomas Clavel, après son très remarqué Un traître mot. Un texte qui ne rate pas l’époque illusoire dans laquelle nous vivons : « Elle replongea ses yeux dans l’écran du smartphone. C’était là que la vie semblait s’être exilée, foisonnante, fourmillante, infinie. C’était là que l’humanité avait trouvé refuge, loin du monde, si près pourtant – un monde niché à l’intérieur du monde, ayant abandonné l’antique scène tellurique, cosmique, céleste. C’était là que l’immense colonie des hommes creusait sa nouvelle maisonnée, termitiére aux millions de tunnels, aux millions d’embranchements, aux millions d’œufs ». C’est toute une époque qui se prétend détachée de ses racines que Clavel prend pour cible, avec finesse et combativité, attaquant cet enfer aux allures de paradis dans lequel nous errons, entre fureur hygiénique et cancel culture. Hôtel Beauregard est le roman de notre actualité, celle du quotidien, depuis des décennies, et il restera comme un texte de témoin. La situation : une épidémie fait planer la menace d’une cinquième vague tandis que les dissidents politiques réfugiés sur les réseaux sociaux sont sans relâche traqués par de « bonnes âmes », brûlés sur ces nouveaux tribunaux sans droit que sont devenus les écrans. Une jeune femme ayant malencontreusement posté une photographie où elle a le visage non masqué se retrouve prise dans une hystérie de délation. La chasse aux sorcières débute. Hôtel Beauregard est provocateur, authentique, très vrai dans ce qu’il décrit, mais aussi drôle et cruel, prenant. Les harceleurs du web ne sont pas ceux que l’on croit. Et c’est bien pour cela qu’ils peuvent harceler en toute impunité. Quand les crises sanitaires rencontrent la fin de l’État de droit et l’idéologie totalisante, cela donne un roman qui doit être lu.

Thomas Clavel, Hôtel Beauregard, La Nouvelle Librairie éditions, 2021, 218 p., 14,90 €

Le premier roman de l’écrivain danoise Katrine Engberg, L’enfant étoile, frappe fort lui aussi, bien que de façon différente. En mode thriller. L’action se déroule à Copenhague, où Engberg est née : dans le centre-ville, une jeune étudiante, vivant en colocation, est assassinée. Un meurtre violent, sauvage. Son visage est entaillé d’un motif formant un indice que l’inspecteur Korner et sa collègue Werner devront résoudre pour mener l’enquête à terme. La voisine, Esther, dame âgée et propriétaire de l’immeuble, à la retraite depuis peu, écrit un roman, le rêve de sa vie. Pas n’importe lequel : un polar. Et pas n’importe quelle histoire, celle du meurtre. Dans ses moindres détails. Une idée originale pour un roman mené de main de maître, ce qui n’est pas anodin de la part d’une primo-romancière, dans lequel l’immeuble est un personnage à part entière. Derrière les apparences tranquilles de la société danoise, Engberg montre une autre réalité, en tapant fort sur l’époque. Prenant, comme une série télévisée que l’on ne quitte pas.

Katrine Engberg, L’Enfant étoile, Fleuve noir, 2021, 415 p., 20,90 €

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés