Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Nicolas Lebourg est un spécialiste de l’extrême droite qui, à l’image d’un Jean-Yves Camus, ne confond pas toutes les conceptions du monde pouvant être rattachées à ce terme et, surtout, ne l’utilise pas, dans ses livres, pour nier la légitimité républicaine des partis politiques engagés dans le combat électoral, fussent-ils souverainistes ou patriotes. Autrement dit, Lebourg ne participe pas, malgré ses prises de position ancrées à gauche, au petit jeu des trafiquants de démocratie, à l’œuvre depuis Mitterrand afin d’empêcher l’accès au pouvoir d’une droite ou d’une vision conservatrice du monde digne de ce nom. Historien et chercheur respecté sur tous les bords politiques, récemment appelé à donner un avis circonstancié sur les « violences d’extrême droite » lors de la commission consacrée à ce sujet et mise en scène à l’Assemblée nationale par LFI et LREM, prompts à nier le caractère gauchisant ou autonome des principales violences (on songe aux black blocs), Nicolas Lebourg est associé au CEPEL, centre de recherches du CNRS de l’Université de Montpellier, et l’auteur d’articles et d’essais remarqués, comme Les droites extrêmes en Europe (2015), publié conjointement avec Jean-Yves Camus. Il est aussi membre de l’institut Jean-Jaurès, acteur de la rubrique liée à Libération « L’œil sur le Front » et fort actif dans le cadre des publications du site Fragments des Temps Présents, qui se veut un lieu incontournable d’analyse de toutes les formes d’extrémisme. Ce dernier concept est évidemment délicat à manier tant, par exemple, l’abandon de nos industries par les politiciens au pouvoir depuis 40 ans peut aisément être perçu comme une forme insoutenable d’extrême violence politique.
Son dernier essai en date, Les nazis ont-ils survécu ? Enquête sur les internationales et les croisés de la race blanche, est un vaste panorama, fouillé et sourcé, bénéficiant de la consultation de très nombreuses archives, y compris issues des services de renseignement américains, sur ce qu’il est advenu du nazisme après la chute du IIIe Reich, comment il s’est perpétué, comment il a pu évoluer et parfois influencer tel ou tel penseur de droite radicale à tel ou tel moment de son parcours. Une partie des faits étudiés dans cet essai est connue des spécialistes et de qui s’intéresse à l’histoire des divers courants des extrêmes droites car, en ce domaine, le singulier n’a guère de sens ; on croisera aussi sans surprise certains noms. L’ensemble apporte cependant un éclairage neuf sur nombre de mouvements et d’actions visant à perpétuer l’imaginaire ou les imaginaires issus du nazisme très au-delà de la Seconde Guerre mondiale. Lebourg étudie aussi comment les principales puissances de la Guerre Froide ont observé et parfois tenté d’utiliser les mouvements et volontés de mise en œuvre d’une « internationale noire ». Le regard de l’historien est foisonnant, à l’image de son objet d’étude, tant les nazismes revisités ont pu imprégner la littérature, la pop culture, depuis les romans de SF à quatre sous jusqu’à l’Hydra de l’actuel univers Marvel. De chapitres en chapitres, on croisera des « stars », Binet, Thiriart, Bardèche, Savitri Devi, Douguine, Evola, d’anciens SS plus ou moins authentiques, ainsi que de jeunes penseurs et activistes ayant pour point commun cette idée que le « Reich de mille ans » n’est pas mort à Berlin en mai 1945, qu’il est au contraire au début de son histoire, pour l’heure contrée par des forces alors combattues par les nazis. L’ensemble tient du puzzle dont les pièces se mettent en place au fil de la lecture, tant le monde ici décrit est étonnemment cohérent. L’essai de Lebourg devrait aussi être un bon moyen pour tout journaliste « de base » de s’informer sur les accusations qu’il porte à tort et à travers ici et là. Là-dessus on peut toujours rêver.