La paix et la santé, prioritaires ? Un avenir radieux, déplacé ? La convivialité et la fidélité à leur vocation spécifique au Proche-Orient, naïfs ? On entend tant et tant de choses au sujet des chrétiens d’Orient que la lassitude gagnerait jusqu’aux esprits les plus militants. Il faut dire que les experts n’aident pas. On en lisait un récemment, dans les colonnes du Figaro, qui craignait qu’on défendît les chrétiens d’Orient à travers l’action politique. À croire que ces hommes seraient comme diminués, privés de leur caractère social, insensibilisés aux aléas de la politique internationale. Des Mithridate sans le savoir pour notre Bourgeois gentilhomme.

Or la guerre en Ukraine nous prouve bien que les chrétiens d’Orient sont – quelle pitié d’avoir à le rappeler – les récipiendaires des conséquences des décisions politiques. Chez eux, par les pouvoirs qui les dominent, comme depuis chez nous, par ceux qui nous gouvernent. Qu’on démontre un peu que l’éloignement des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien ou le renchérissement des prix du blé suite à la guerre en Ukraine n’auraient pas d’incidence sur le maronite de Jounieh ou le chaldéen d’Erbil et l’on aura réussi une prouesse mensongère.

Il faut se garder des embourgeoisements du catholicisme français au moment d’évoquer le sort des chrétiens d’Orient. Oui, leurs situations doivent nous déranger. Elles sont parfois le produit de nos manquements et souvent l’incarnation des aveuglements occidentaux dans leur région. L’invasion de l’Irak en 2003 ou le maintien artificiel de la guerre en Syrie depuis plus de dix ans le montrent assez. Oui, les chrétiens d’Orient souffrent de la radicalisation des mondes musulmans depuis un siècle, nonobstant les bonnes relations qu’ils entretiennent souvent dans leurs voisinages ou leurs écoles. On a connu des djihadistes radicaux qui avaient été élevés chez les bonnes sœurs.

Aucune autre communauté du Moyen-Orient n’est seule

Seulement, cette réalité contrevient radicalement aux appels à la fausse complexité régulièrement serinés en Europe. Cantonnés au rôle de pont entre les communautés, les chrétiens d’Orient sont niés dès que les réalités qu’ils subissent contreviennent à l’œcuménisme béat et à la bienveillance béante. Ils indisposent alors le compromis ecclésial qui fait du chrétien contemporain l’agneau à dévorer sans mauvaise conscience. Ou alors avec une mauvaise conscience attardée, plaignant la fatalité et l’obsession l’identitaire. Comme si les Frères musulmans se souciaient vraiment des grincements de l’obsolescence théologico-politique occidentale.

Les chrétiens d’Orient ont besoin de notre engagement à leurs côtés, pour une raison toute simple : aucune autre communauté du Moyen-Orient n’est seule. Les pays du Golfe continuent leurs investissements pour soutenir leurs frères sunnites et il n’est pas besoin de rappeler les engagements de l’Iran en faveur de ses coreligionnaires. Quant aux autres minorités, elles bénéficient également de soutiens variés : druzes ou yazidis ont leurs parrains. Pourquoi diable faudrait-il que les chrétiens d’Orient fassent les frais de l’âme désarmée occidentale ?

Bien sûr, la générosité des Français n’est plus à démontrer pour cette cause. Sans eux, SOS chrétiens d’Orient n’aurait pas déjà envoyé plus de deux mille volontaires sur les pas de Saint Louis. Mais cette générosité doit être assumée. Elle ne doit pas être honteuse ni coupable. Elle est logique et noble. Quand bien même elle dérange la ouate idéologique de quelques presbytères fatigués. 

Illustration : Erbil, Irak.