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Les larmes de Mar Matti

Mar Matti, Pâques 2014. Une journaliste soudainement gagnée par la célébrité télévisuelle est là, à se débattre sur les matelas des salons arabes que nous avons disposés pour notre retraite pascale. Avec nous, un militant récemment condamné, une jeune étudiante en philosophie à l’aube de l’âge adulte, et Benjamin Blanchard, le directeur général de SOS chrétiens d’Orient. Et quelques autres.

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Les larmes de Mar Matti

Nous jeûnons. L’Organisation État Islamique a déjà pris Mossoul, qui n’est pas si loin, sur le même axe routier. Mais nous ne pensons pas à cela. Suspendus dans les roches, le monastère syriaque-orthodoxe est bouleversant. J’y lisais Kessel sur un balcon qui surplombe toute la plaine de Ninive pendant que mes compagnons attendaient que les moines nous ouvrent une douche. Les offices se succédaient, surtout l’enterrement du Christ, tellement impressionnant dans les premiers tintements, tellement long aussi pour nous qui ne goûtons rien aux délicatesses de l’araméen ou de l’arabe.

Longtemps, nous nous souviendrons du sentiment de délivrance qui nous étreignit quand le supérieur du monastère nous invita à la table pour partager le repas de rupture du jeûne pascal. Nos entrailles n’avaient pas notre piété. SOS chrétiens d’Orient n’était rien à l’époque. Nous avions baladé notre équipe tout au long du Kurdistan : de Soulemaniyeh à Quaraquosh, d’Erbil – où nous manifestâmes devant le siège local des Nations-Unies – à Manguesh au pied des montagnes. Je m’amuse maintenant des volontaires qui me présentent les endroits comme à une huile de passage, ignorante à coup sûr des tréfonds des lieux. La meilleure manière de leur rappeler que nous fûmes leurs prédécesseurs est de sourire devant la façade des magasins d’alcools ou des troquets déguisés, tant ils existent d’irrécupérables constances dans le caractère français.

La subvention devait aller à Mar Matti

Mar Matti, c’est le souvenir de l’absolu, de l’âme qui pour une fois se gorge vraiment de ciel, de magnificences liturgiques, de sainte amitié. Une bergère dans un village plus bas nous fit goûter un chèvre frais qui se moquait des normes européennes et ravissait d’autant mieux nos palais. Je ne sais pas si cela fut complètement raccord avec le carême orthodoxe. Même ces fromages avaient la manière d’un appel à Dieu, dans cette joyeuse troupe découvrant la Mésopotamie.

Il faut donc que ce soit cela que le président de la région Rhône-Alpes ait choisi pour me rappeler à sa lâcheté. L’homme ne mérite pas l’embarras d’explications : énarque français, il a promis un argent que quelques inquiétudes lui firent finalement refuser. Nous jouissons des élites que nous ne méritons pas. Son sort n’intéresse pas. En revanche, je ne peux dissimuler quelques larmes qui inondèrent discrètement mon cœur dans la polémique qui suivit : faut-il que la France aille si mal, que notre pays se complaise dans autant de veuleries pour qu’un tel bonhomme abîme mon souvenir, nos souvenirs. La subvention devait aller à Mar Matti.

Au moment de cette polémique je lisais le livre du dominicain rennais Xavier Loppinet, Pleurer sans Pourquoi. Mon petit cœur viril y découvrait les taxinomies élaborées par sainte Catherine de Sienne et puis l’antienne de Celle qui Pleure : « Voyez de quelle abondance de larmes est baigné le visage de la Vierge Marie. Vous tous qui passez, regardez et dites s’il est une douleur pareille à ma douleur. » La Vierge dut verser tant de larmes en découvrant le sanctuaire de Sainte Barbe, que nous avions visité juste avant Mar Matti, aux mains des barbares islamistes. Elle doit pleurer encore davantage devant la naïveté volontaire de dirigeants qui feignirent d’entendre le message que les chrétiens d’Orient nous adressaient dans leurs crucifixions. Et nous qui savons, nous pleurons de honte.

Xavier Loppinet me donne cependant un peu d’espoir. Il rappelle : « À travers ces filles de Jérusalem, comme le dit Origène, c’est nous qui sommes appelés à pleurer avec le Christ sur notre péché. Mais c’est là, justement, la bonne nouvelle : nous ne pleurons plus sur nous-mêmes, nos larmes ont pour source celle du Christ ».

Toute honte bue, nous pleurons avec Lui. Peut-être cela sauvera-t-il la pureté des souvenirs de Mar Matti ?

Par Charles de Meyer, Président de SOS Chrétiens d’Orient

 

Xavier Loppinet, Pleurer sans Pourquoi, éditions du Cerf, 237 p., 19 €

 

 

 

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