Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Mémoire. Emmanuel Macron qui ne connaît de l’histoire de France que les quelques poncifs qui s’apprennent dans l’école de la République, n’a aucune idée de ce que représentent dans notre mémoire nationale ces hommes qui ont cru à la parole de la France.
Mais quelle mouche a donc piqué le président Emmanuel Macron en reconnaissant l’implication de la République dans la mort du militant communiste Maurice Audin, le 13 septembre dernier, plus d’un an après ses propos sur la colonisation, « une vraie barbarie » selon lui ? En tentant maladroitement d’élever une vingtaine d’anciens supplétifs de l’armée française dans l’ordre de la Légion d’honneur afin d’éteindre toute polémique naissante, l’Élysée a pris le risque de ré-ouvrir un des chapitres douloureux du dossier de l’Algérie française, cette guerre dont les plaies ne sont pas encore pansées dans le subconscient français ni algériens. Le dossier des Harkis, ces oubliés de la République, n’est pas près de se refermer.
Les conditions pour des visites de harkis en Algérie ne sont pas encore venues. C’est exactement comme si on demandait à un Français de la Résistance de toucher la main d’un collabo.
Cette phrase assassine, lâchée au lendemain de sa visite à Paris en juin 2000 par le président algérien Abdelaziz Bouteflika, résume toujours l’antagonisme qui continue d’exister entre les harkis et le Front de Libération nationale (FLN), au pouvoir depuis l’indépendance.
En 1962, des milliers de pied-noirs déferlent en France, fuyant un pays que leurs parents, grands-parents, arrière-grands-parents… ont contribué à façonner et moderniser depuis 1830. Le sort des auxiliaires nord-africains de l’armée française se joue dans les arcanes du palais de l’Élysée. Corps d’armée institué en 1954, le gouvernement du général de Gaulle ne sait que faire d’eux et fait preuve d’un cynisme démagogique sans limites. Certes, on avait bien pensé à rassembler « tout ce petit monde sur des zones côtières afin de créer un état séparé du reste de l’Algérie », mais l’idée avait été vite balayée tant elle ennuyait la « grande Zorha » – sobriquet injurieux donné par les Pied-noirs au héros de la Libération –. La question des harkis empoisonne très rapidement les futurs accords d’Évian où sera signée par les représentants français la fin de la présence française en Algérie… et donc avalisées toutes les conséquences !
De Gaulle ne souhaite pas que l’État prenne en charge le retour des harkis, encore moins n’entend les accueillir en France. Les officiers qui évacuent le pays, s’irritent de la situation et multiplient les rapports sur le sort de ces auxiliaires voués à subir la vindicte des moudjahidines du FLN. « Interviewé » par le Figaro en novembre 2003 à ce propos, le commandant Hélie Denoix de Saint Marc était revenu sur la responsabilité du Général et des gaullistes dans cette tragédie où s’est joué le sort de ceux qui avaient fait confiance à la parole de la France de ne jamais les abandonner ; il citait le philosophe Raymond Aron :
Les harkis, pour la plupart, furent livrés à la vengeance des vainqueurs, sur l’ordre du général de Gaulle, lui-même, lui qui par le verbe transfigura la défaite et camoufla les horreurs.
Trompés par les accords, certains d’entre eux crurent aux paroles de réconciliation nationale prônée par un Ahmed Ben Bella, futur président de la République algérienne démocratique et populaire. Entre 1962 et 1963, des milliers de harkis furent emprisonnés par le FLN, mis dans de véritables camps de concentration et furent victimes d’une épuration comparable à celle que la France avait connue à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Les témoignages sur les exactions commises par le FLN à l’encontre des harkis sont, hélas, nombreux : ils sont livrés à des populations qui les massacrent dans un cérémonial d’autodafés, à des officiers du FLN qui prennent le temps de leur crever les yeux quand ils ne les jettent pas vivants dans des chaudrons d’eau bouillante. Il est difficile de connaître le nombre exact de ces « arabes de bien », partisans du maintien de la France en Algérie. Tout au plus les historiens s’accordent à dénombrer environ entre 60 000 et 80 000 victimes harkis, un chiffre toujours démenti par le gouvernement algérien. La France n’avait finalement rapatrié que 40 000 de ces supplétifs dont le général de Gaulle avait pourtant affirmé en 1959, « à quelle hécatombes condamnerions-nous ce pays si nous étions assez stupides et lâches pour l’abandonner » !
Depuis 14 ans, la France célèbre la journée nationale des Harkis. « Les Harkis sont des Français à part entière (…) et bénéficient à juste titre du respect et de la reconnaissance de la communauté nationale française, et ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous les Français », avait répondu au président Bouteflika Jacques Chirac.
Placés dans des « camps de transit », en 1962, ceux qui échappèrent au massacre et purent atteindre la métropole, en dépit des oukazes du gouvernement français, furent disséminés aux quatre coins de l’hexagone ; les harkis, ainsi parqués, vont vivre dans des conditions matérielles particulièrement difficiles. Promiscuité, insalubrité, peu d’ameublements, des maladies qui se multiplient et si les familles de harkis ont droit aux prestations sociales, elles ne les touchent pas, car elles sont affectées immédiatement aux frais de dépenses des camps qui ferment tous progressivement en 1964.
Trois générations plus tard, les associations de Harkis et fils de harkis réclament à l’État français d’importantes compensations financières. Les 40 millions d’euros proposés au titre du « fonds de réparation et de solidarité » par Emmanuel Macron ont été ressentis comme une insulte par les harkis et leurs descendants, qui ont annoncé qu’ils allaient porter plainte contre la France pour crime contre l’humanité, si aucune solution n’était trouvée « On s’est moqué de nos parents en les laissant crever en Algérie ou en les enfermant comme des chiens dans des camps en France », a déclaré dans La Dépêche, Bouaza Gasmi, président du Comité national de liaison harki (CNLH) et soutenu dans son combat par le Rassemblement national qui souhaite faire voter une loi de reconnaissance des harkis.
En nommant 20 d’entre eux dans l’ordre de la Légion d’honneur, le président de la République a essayé d’éteindre une polémique naissante. Son « pardon » à la veuve de Maurice Audin, militant communiste pro-terroristes a été vécu comme une blessure personnelle par les descendants de harkis et de pied-noirs, qui attendent toujours des excuses du gouvernement algérien dans des drames personnels qui les ont touchés eux et leurs familles. « Une avancée et un pas positif », s’est empressé de déclarer Alger qui refuse encore de reconnaître les meurtres perpétrés contre les harkis. Une histoire à deux vitesses mais qui tend désormais à se rejoindre, à l’encontre de la vérité officielle que martèle le FLN.
Le 7 juillet dernier, interrogé par un député de la majorité présidentielle, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a reconnu qu’il tentait de négocier avec le gouvernement algérien, le droit au retour des harkis dans leur pays. Une demande que refuse totalement d’étudier le FLN qui « considère le dossier des harkis définitivement fermé », craignant qu’à court terme ces enfants du pays fidèles à la France ne viennent grossir les rangs de la contestation chaque jour plus puissante organisée par la société civile face à un pouvoir corrompu, vieillissant, devenu illégitime. Et ne le fasse tomber. Il est des Algériens – y compris chez les intellectuels – qui ne pensent pas comme Macron à propos de leur pays, de son passé et de son histoire récente.
P.S : J’écris ces lignes en mémoire du lieutenant-colonel Robert Laforest et du colonel Robert Perrotte, officiers de la Légion étrangère durant la guerre d’Algérie.