Le Roi-Soleil avait encouragé avec Lully la création d’un style typiquement français qui rivaliserait avec celui de l’Italie. L’un faisait la part belle aux formes de danse, l’autre explorait des formes instrumentales, telles que sonate et concerto. Pourtant, dès la fin de son règne, la vie musicale parisienne s’orienta vers une esthétique plus conciliatrice. L’idée d’une forme nouvelle avait germé au Café Laurent, où se retrouvaient artistes et écrivains. Jean-Baptiste Morin (1677-1745¹), admirateur de la musique italienne, ambitionnait de plier les influences transalpines au grand style du royaume. En préambule de son Livre Premier, paru en 1706, l’inventeur du genre de la cantate française justifiait ainsi son audace d’emprunter à l’étranger : « J’ay fait aussi mon possible pour conserver la douceur de nôtre Chant François, sur les Accompagnements plus diversifiez, & sur des mouvements & la modulation dont les Cantates Italiennes sont composées. »
Absolues raretés au disque, trois des dix-huit cantates du musicien favori du duc d’Orléans sont gravées ici. La qualité de l’écriture éclate dès le Naufrage d’Ulisse défendu avec panache par les musiciens. Le raffinement développé dans la légende de Circé s’avère tout aussi séduisant. Extraite d’un divertissement, la suite de L’Himen et l’Amour apporte ensuite un intermède permettant d’apprécier l’habileté de son maniement des instruments et se conclut par une admirable chaconne. La subtile Psiché et ses sœurs fait appel à un trio vocal dont l’auteur exploite avec brio les ressources de combinaison et d’opposition. Giulio Quirici et son Ensemble Lautenwerk s’investissent avec ferveur pour rendre justice à ces drames sans action ni décor, offrant un écrin de choix au timbre magnifique de la canadienne Stefanie True. Hélas, sa diction est exécrable et l’on ne comprend pas un traître mot de ce qu’elle chante ! Quel dommage lorsque l’on sait Morin soucieux de ciseler chaque vers avec un soin particulier et combien il accordait à la nature expressive des paroles une attention extrême. Son exemple précurseur fut suivi par Rameau et Couperin, c’est dire tout l’intérêt de cet enregistrement.
Jean-Baptiste Morin, French cantatas, Stefanie True, soprano, Ensemble Lautenwerk, Giulio Quirici, direction, 1 CD Etcetera KTC 1635, 17 €
1. Et non 1754 comme l’indique le livret du cd.