Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Histoire de l’art. Si l’histoire féministe de l’art entend imposer son regard politique et culpabilisateur aux amateurs d’art, on peut considérer que la thématique de la représentation féminine se passe d’une approche aussi réductrice et débouche sur des questions autrement passionnantes.
« Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? » Cet article date de 1971 et est signé de Linda Nochlin. En le publiant, l’historienne de l’art new-yorkaise lançait un nouveau paradigme en histoire de l’art : le féminisme. À partir de là, interroger la place des femmes dans l’art devenait un axe d’étude reconnu.
Cherchant une réponse à cette absence des grandes femmes artistes, Nochlin trouva une raison structurelle : tout les empêchait de s’insérer dans les mondes de l’art. Sa réponse fermait la porte à toute idée de parité rétrospective. Certes, l’histoire de l’art fut écrite par des hommes, mais le constat est là, et difficilement contournable, d’ailleurs contenu dans le titre de l’article « il n’y a pas de grandes artistes femmes » : Raphael, de Vinci, Caravage, Poussin et Monet conservent leur place au firmament.
Depuis, de grandes artistes ont eu leurs rétrospectives et, aux États-Unis, les expositions d’artistes femmes ont permis d’attirer l’attention sur elles et leur travail. Le Walters Art Museum de Baltimore ouvrit « Old Mistresses : Women Artists of the Past » puis ce fut autour de Los Angeles avec « Women Artists, 1550-1950 ». Cette approche s’exporta en France. En 2009, le Musée national d’Art moderne ouvrit Elles@centrepompidou, un accrochage dédié à plus de 900 artistes feminins.
Plus proche de nous, en 2013, l’élue communiste Brigitte Gonthier-Maurin rédigea un rapport pour le Sénat sur la question de la place des femmes. La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes avait, en effet, choisi de travailler sur le thème des « Femmes dans le secteur de la Culture ». La question quittait donc le monde des universités et des musées pour gagner celui de la politique. Après le Sénat, ce fut au tour du ministère de la Culture. Emmanuel Macron ayant fait de l’égalité entre les femmes et les hommes une « grande cause nationale », il put étayer ses mesures en s’appuyant sur les rapports toujours critiques de l’Observatoire de l’égalité dans la culture et la communication (sic). Le lecteur l’ignore peut-être, une « feuille de route Égalité » court jusqu’en 2022 et le ministère de la Culture fait tout pour « promouvoir l’égalité » ou bien « lutter contre les violences sexistes », mais aussi « développer la visibilité des femmes dans le patrimoine et dans l’histoire ». En février 2017, le directeur général des Patrimoines adressa donc une note aux directeurs (nous ne devrions pas oublier « et directrices ») des institutions culturelles : il fallait désormais veiller à la part des femmes dans les commissariats d’expositions et dans les choix de programmation des artistes exposés.
Bref : un mouvement est en marche. Et, alors que les musées qui exposent l’ancien doivent toujours être en première ligne pour promouvoir les idées nouvelles, on peut craindre que ces questions de la condition des femmes au cœur de l’histoire de l’art ne soient trustées par les féministes les plus intégristes, celles dont la vie et le travail se confondent avec leur militantisme ou bien, et c’est peut-être pire encore, par le ventre mou et sans âme de ceux qui, mollement, suivent l’air du temps, sans trop se poser la question du comment ni du pourquoi. Entre la politique et le politiquement correct, existe-t-il une troisième voie ? Il semble s’en dessiner une avec le livre de Jérôme Delaplanche paru en pleine affaire #MeToo, chez l’excellente maison d’édition Citadelles et Mazenod. Intitulé Ravissement, il fait un inventaire des représentations d’enlèvements amoureux dans l’art de l’antiquité à nos jours. L’ouvrage se déploie sur plus de 200 pages magnifiquement illustrées et annotées.
L’auteur l’a composé comme une symphonie. L’introduction, notamment, interroge et remet à plat des interrogations parfois trop vite expédiées comme « l’art est-il misogyne ? ». L’auteur pointe deux approches, celle de l’historien de l’art “traditionnel”, pour qui il n’y a pas de jugement moral à porter sur l’iconographie d’une œuvre d’art, et celle de l’historienne féministe qui, « guidée par sa compassion envers les douleurs infligées aux femmes, cherche à mettre en lumière pour mieux le condamner ce qui dans une culture donnée relève d’un système oppressif misogyne. »
De la première approche – celle de l’auteur – découle une lecture passionnante et érudite de la représentation de l’enlèvement des femmes en peinture ; une lecture qui se déroule en quatre mouvements. Le rapt animal, le rapt historique, le rapt consenti et, sublimation finale, le ravissement.
Certes, les hommes désirent les femmes et les hommes les représentent. On a pu d’ailleurs questionner – et condamner – cette position du passé, qui réservait aux hommes l’activité créatrice et aux femmes la position de l’inspiratrice, ce qu’on synthétise par l’artiste et sa muse. Jérôme Delaplanche pousse au-delà de ces condamnations, les met de côté, et fait ce qu’on attend d’un historien de l’art traditionnel. Il observe les images et les catégorise – et les catégories qu’il adopte sont passionnantes. Ainsi, le rapt animal, représenté par ces nymphes enlevées par des faunes ou un centaure, représente le désir primaire de l’homme qui laisse parler l’animal qui est en lui. Le second mouvement, le rapt historique, c’est Hélène ou les Sabines : le sexuel s’efface derrière l’Histoire qui exige qu’on aille dans son sens. Le troisième, le rapt consenti, est moins sauvage, la séduction plus ambiguë : l’homme emporte la femme complice. Quant au quatrième mouvement, le ravissement, il va jusqu’à citer la transverbération de sainte Thérèse : l’âme est enlevée au ciel. Les femmes ne sont pas toujours raptées mais élevées comme en un transport ou une apothéose.
Il en résulte une catégorisation mais aussi des degrés, des subtilités, une analyse qui se conclue sur cet admirable rappel : « L’art n’est pas la réalité. L’acte le plus atroce dans la réalité peut devenir l’image la plus magnifique ». Et dès lors, le regardeur s’en trouve déculpabilisé.
À force de parler de « culture du viol », l’histoire de l’art féministe voudrait nous rendre « inacceptables » la vision des rapts en peinture. Avec Jérôme Delaplanche, l’amateur d’art peut désormais sereinement continuer d’arpenter les musées pour s’y délecter de l’art, voire même s’autoriser à rêver du désir caché des femmes.
Jérôme Delaplanche, Ravissement. Les représentations d’enlèvements amoureux dans l’art de l’antiquité à nos jours.
Citadelles et Mazenod, 2018, 224 p., 59€.