Rien ne vaut une saine et bonne lecture. Le pape François étonnera toujours. Son franc-parler ne s’embarrasse pas de circonlocutions inutiles. Il va droit au but et, en l’occurrence, la nature lui sert d’ouverture à la surnature. Ce jésuite franciscain est disciple de saint Thomas d’Aquin.
[groups_non_member group= »Abonné »]
[/groups_non_member]
[groups_member group= »Abonné »]
Il serait étonnant que les hommes politiques qui ont félicité officiellement le pape François pour sa lettre encyclique Laudato si’ aient réellement lu le texte pontifical. Il n’a strictement rien à voir avec leurs préoccupations d’idéologues ou leurs soucis politiciens de récupération écologique. Il est à prévoir, d’ailleurs, que ce bruyant accueil n’aura aucune suite tangible, de ce côté-là, qui puisse montrer une compréhension véritable des leçons qu’administre le magistère catholique par la voix du pape François. Seulement il était important pour leur communication de reprendre à leur compte et à leur profit le cri d’alarme poussé par le Père commun des fidèles qui, par situation, est le seul être au monde qui incarne, de fait, l’autorité d’une universelle paternité. Eux, en dépit de leur envie, en sont totalement dépourvus. N’est pas pape de l’écologie, qui veut !
Le procédé facile manifeste une incroyable désinvolture. Désinvolture des classes dirigeantes que fustige précisément le Pape à longueur de texte et qui pallient hypocritement du manteau écologique leur insuffisance et leur vanité.
Les laudateurs en ont-ils saisi le sens ?
A peine pourraient-ils reprendre quelques paragraphes de la première partie de l’encyclique où le pape dresse un constat du drame écologique que subit « notre mère », la terre. « Mère », au sens franciscain du terme, évidemment. Il n’est même pas sûr que les catholiques dits « de gauche » et qui s’approprient l’encyclique en y voyant « leur feuille de route », en aient compris la portée ni même le sens. Sauf à caricaturer un thème cher au pape François, et qui sous-tend l’encyclique : d’une part, l’abandon des pauvres du monde entier jetés dans des situations de plus en plus précaires et, d’autre part, l’insolent gaspillage et l’implacable domination des riches organisés en sociétés de riches à qui profitent l’organisation politique et financière de la planète que dirigent statutairement des organes de gouvernement soumis à la seule loi du marché et du profit, érigée par le dogmatisme mondialiste en paradigme universel.
Le risque que comporte une telle vision, juste sans doute quand elle s’insère dans les limites précises d’une analyse factuelle, est de se transformer en une dialectique simplificatrice riches-pauvres : les riches tous méchants, les pauvres tous bons. Avec, à la clef, la menace que les pauvres prennent la place des riches ! Ce qui, assurément, n’est pas une solution. Les saints François peuvent avoir leurs « fratricelles » qui déforment le message évangélique et que l’Église ne peut que condamner comme elle le fit au XIIIe siècle. La pauvreté doit rester une béatitude évangélique et non se hausser en mythe politique. Et puis il est si avantageux, tout en profitant de la société de consommation et en enfreignant les règles les plus élémentaires de la morale catholique, de se donner le rôle du justicier marxo-chrétien. Un christianisme d’apparence peut couvrir bien des abus et dans tous les sens.
Non, le pape est catholique et c’est une théologie profondément catholique qui ressort du texte lu attentivement et dans son entier. Il n’est pas possible ici d’en donner un résumé exhaustif. Ce qui est sûr, c’est que le pape s’adresse à des chrétiens et à des chrétiens catholiques à qui il rappelle les exigences de leur foi. D’où le qualificatif « intégrale » qu’il accole à l’écologie qu’il propose. C’est là que se situe la grande pensée du pape. « Intégrale », c’est-à-dire logique. Une écologie qui ne serait pas intégrale, serait tout simplement illogique. à quoi servirait de défendre les petits phoques, si par ailleurs il est jugé tout à fait normal de tuer les enfants à naître, les malades gênants et les vieillards encombrants. « Intégrale » signifie encore que l’ensemble des besoins et des impératifs afférents à cette écologie est pris en considération dans le calcul humain : c’est comme une équation qu’il faut résoudre.
Et cette intégration suppose une compréhension du monde dans ses données scientifiques, certes, mais aussi dans la vision significative de la foi. Si le monde n’a pas de sens, l’écologie, non plus, et ce n’est qu’un mot de démagogue. Le monde créé ne nous appartient pas en propre ; il nous est donné, non pour en être les dominateurs omnipotents et omniscients, mais pour en être les régisseurs. Toute idée d’exploitation sans limite devient absurde. Le monde a une finalité, les rapports humains aussi, rapports avec l’ordre créé d’abord, rapports, ensuite, de communion dans les sociétés que Dieu, un et trine et Lui-même communion de Personnes, a voulu à son image. Le péché, le mal consiste précisément à n’en pas tenir compte, à exploiter toutes les ressources disponibles selon la règle du seul profit individualiste et de réduire l’autre ainsi à une ressource exploitable à merci. L’écologie intégrale est d’abord une anthropologie.
Incarnation et rédemption
L’incarnation et la rédemption donnent son seul et vrai sens à l’histoire humaine. L’homme en lui-même ne saurait concevoir sans tromperie un progrès indéfini qui mettrait à mal la nature et la détournerait de son essence, de sa cause première et de sa cause finale, de sa raison d’être et de sa beauté spécifique. D’ailleurs, l’homme en tant que tel, les hommes, les uns vis-à-vis des autres, les sociétés, la terre, l’environnement tout entier en supporteraient des conséquences catastrophiques. C’est aujourd’hui le cas.
La pensée technocratique, nommément désignée par le pape, qui caractérise la prétendue modernité, en porte l’effroyable responsabilité, en particulier celle qui anime les superstructures financières, économiques et politiques des sociétés dites évoluées. Elle est fondamentalement « prédatrice » ; elle vit sur le monde, elle se gave des choses et elle esclavagise les pauvres gens, en accaparant le tout à son seul profit, détruisant les familles et les peuples, et tous les liens de civilisation naturelle. Les institutions en sont perverties et l’écologie pourtant exige des institutions adéquates, respectueuses des données humaines. La technocratie ne connaît que l’individualisme le plus sauvage que le pape dénonce comme le mal absolu et qui est, c’est une évidence malheureuse, le principe de la vie politique, économique et financière des sociétés dites modernes.
Aussi le pape y va carrément, interpellant vigoureusement des hommes d’origine chrétienne pour la plupart, comme nos dirigeants français qui sont pratiquement des apostats et qui jouent les sauveurs quand ils ne sont que des naufrageurs. L’encyclique est dans sa dernière partie un appel à la conversion, chacun d’abord pour soi, puis tous, si possible, pour le salut de l’humanité en péril. Les derniers paragraphes dans la ligne dynamique de toute l’encyclique offrent une vision mystique du salut de l’humanité rachetée, celle d’un Bonaventure, d’un Jean de La Croix, d’une Thérèse de l’Enfant Jésus que le pape François, à l’école de la Vierge Marie et de saint Joseph, propose au monde épuisé et vide de sens aujourd’hui pour qu’il trouve et retrouve l’environnement humain et spirituel, sain et saint qui lui redonnerait de l’air, tout l’air dont il a tant besoin pour respirer.
Telle est l’écologie intégrale du pape François et l’édulcorer serait trahir sa pensée. Cet adjectif « intégral » a son histoire. Elle est amusante et il n’est pas sûr qu’il y ait beaucoup de monde pour en connaître les arcanes. Disciple de Paul VI, il est vraisemblable que François, à travers lui, se réfère à « l’humanisme intégral » de Jacques Maritain qui, lui-même, entre les deux guerres, voulait donner la réplique au nom du pape Pie XI au « nationalisme intégral » de Charles Maurras, intégral ne voulant absolument pas dire dans l’esprit de Maurras comme dans celui de Maritain « totalitaire » mais seulement « logique », couvrant en quelque sortes toutes les données de l’équation politique. Chez Maurras, cette pensée se traduisait en une démonstration constamment reprise : vouloir une politique française qui assure l’équilibre de la France, alors que l’État républicain est incapable de remplir ses fonctions, exige logiquement de conclure à la monarchie. C’était à la fois simple et audacieux, hautement démonstratif et limpide . Mais les politiciens et technocrates qui se croient « modernes » n’aiment ni la limpidité ni la logique. Le pape François aura-t-il plus de succès ?
[/groups_member]