Tribunes
Lecture et méditation de Saint Augustin, comme remède à nos désordres politiques
Nombre de penseurs et de questions qu’ils portèrent à la disputatio philosophique sont devenus inaudibles dans notre hypermodernité contemporaine.
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L’Église en France s’est embourgeoisée, désertée par le peuple, courtisé en vain. Les vieilles élites constituent aujourd’hui son noyau central et, éloignées des combats du siècle, elles se raccrochent désespérément à un pouvoir qui les méprisent.
Je crois Jésus annonçant que « les forces de l’enfer ne prévaudront point contre [l’Eglise] » (Mtt 16 :18). Il n’y a donc aucun désespoir dans les lignes que je publie, quand bien même l’Église a disparu de régions où elle avait pourtant inspiré de grands esprits, comme Tertullien, saint Cyprien, saint Augustin, pour laisser la place à l’islam. C’est donc irrationnellement que je professe ma foi, avant de me livrer à une analyse qui, elle, se veut rationnelle.
Pour mieux comprendre le confinement actuel de l’Église dans un milieu socio-culturel que l’on peut qualifier de « bourgeois » au sens idéologique du terme, l’honnêteté oblige à rappeler que, dès le début, le christianisme s’est répandu d’abord dans les milieux urbains, là où l’information circule le plus rapidement – au point que le mot « païen » signifie simplement « paysan ». Tout au long de son histoire, l’Évangile a été annoncé dans des lieux où le niveau de vie, conditionnant le niveau culturel, pouvait être moins bas qu’ailleurs, et s’il est vrai que Dieu a élu le peuple le moins brillant du Proche-Orient pour que la confusion ne soit pas faite entre la puissance temporelle et l’économie du salut, s’il est également vrai que, suivant la même logique, le Verbe s’est incarné non pas comme prince mais comme fils d’un artisan, il ne faut pas s’imaginer que les premiers chrétiens furent forcément des pauvres dressés contre les riches. Le cantique de Marie, « Il renverse les puissants de leurs trônes, comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides », doit s’entendre au sens spirituel ; dès le Ier siècle à Rome, plusieurs membres de l’illustre famille des Jules (César) se convertissent à la Bonne Nouvelle. Le fait, donc, que l’Église s’appuie sur les classes économiquement et culturellement privilégiées n’est pas nouveau. Mais cela n’interdit pas de s’interroger sur, d’une part, la désertion actuelle des classes populaires et, d’autre part, l’abandon de ces classes par le clergé lui-même.
Après la Deuxième Guerre mondiale, plus de 90 % des Français étaient baptisés, quand bien même la pratique pouvait être irrégulière ; 80 % suivaient le catéchisme et atteignaient le stade de la Profession de foi – qu’on appelait alors Communion solennelle. Vers 1965, à l’issue du Concile Vatican II, 25 % des Français allaient à la messe chaque dimanche, contre… 1,8 aujourd’hui : on doit s’avouer que la ré-évangélisation prônée par saint Jean-Paul II a échoué chez nous. Paradoxalement, ce qui dans les premiers temps avait fait le lit du christianisme : le milieu urbain, devint son lieu d’abandon avec l’exode rural, car les idéologies véhiculées par le régime républicain furent mieux transmises dans les établissements d’éducation nationale, au point qu’aujourd’hui les enseignants eux-mêmes des écoles catholiques se réduisent à n’en plus être que les relais : la rivalité entre le curé et l’instituteur a disparu, faute de conviction du côté du curé. Faute de combattants aussi : 1 500 prêtres étaient ordonnés en 1950, contre plus de dix fois moins en 2024 (105). La France comptait alors 50 000 prêtres, contre 5 000 aujourd’hui, qui de surcroît ont une moyenne d’âge de 75 ans.
Cette réduction du nombre des vocations sacerdotales et religieuses met à jour, comme la mer qui se retire, le noyau dur d’une évangélisation à laquelle une minorité catholique au sein de l’élite sociale est sensible. Il est significatif que l’aristocratie1, un corps socio-culturel qui ne représente aujourd’hui que 0,2 % de la population, remplisse environ 15 % du volume des vocations. L’élite sociale et intellectuelle du monde catholique aura été, à court terme, la seule à pouvoir répondre à la volonté de l’Église d’approfondir la foi en la purifiant des excès du sacré, dont le christianisme sait bien que son exaltation peut conduire à confondre les moyens d’exprimer sa foi avec la foi elle-même, de dévier du chemin de la foi pour s’égarer dans la superstition. Or, cet approfondissement suppose un substrat culturel que l’on trouve plus rarement dans les classes populaires, animées par « la foi du charbonnier » et qui après la réforme liturgique post-conciliaire se sont contentées de déplorer la disparition ou l’atténuation du sacré ; avec pour effet de vider les églises des « gens simples ».
Enfin, ralliée de longue date à la République dont le régime dispose que la moralité est le fruit de la seule légalité, l’Église a déserté le terrain moral, sinon pour perpétuer un enseignement classique sur la continence sexuelle, que d’ailleurs les scandales de la pédophilie ont fini par discréditer – au moins aura-t-elle su faire preuve de sainteté quand elle a décidé humblement de s’accuser des fautes commises en son sein : on lui reproche d’avoir tardé, mais la République pas eu le même courage dans ses propres structures.
Sur toutes les autres questions morales, et les plus graves, celles qui engagent la société tout entière, elle est restée silencieuse. En 1975, tandis qu’elle n’ordonnait déjà plus que 150 prêtres, elle s’abstint d’intervenir dans le débat parlementaire sur l’avortement – alors même que son enseignement bimillénaire ne laisse aucun doute sur sa condamnation. Elle s’est par la suite contentée de suivre à la traîne les réformes sociétales engagées à l’initiative de la République, s’agissant de la peine de mort par exemple ; ou de prendre la parole longtemps après que tout ait été déjà dit et décidé sur l’écologie, et pour seulement confirmer le discours officiel. Un sondage de 2017 révèle que les trois-quarts des catholiques ont refusé de se joindre aux manifestations contre le projet de loi légalisant le mariage entre homosexuels, ce qui pourrait laisser supposer qu’à long terme, l’idéologie LGBT obtiendra un plein droit de cité dans l’Église.
Sur cette toile de fond s’est dessinée une gentrification qui a transformé l’Église catholique de France en une Eglise bourgeoise déconnectée des masses populaires. Toutes les études montrent que la pratique religieuse actuelle reproduit strictement la hiérarchie sociale : les plus pratiquants sont les cadres supérieurs des entreprises et les professions libérales les plus rentables ; les pratiquants irréguliers sont les cadres moyens et agents de maîtrise ; les moins pratiquants – bien que se définissant catholiques – sont au bas de l’échelle, ouvriers, smicards, etc.
Pour comprendre comment ces catholiques se déterminent au sein de la République, il faut d’abord observer comment se répartissent politiquement les classes sociales. Aujourd’hui, après plusieurs mutations, on s’étonne de retrouver dans les trois plus grandes formations politiques un reflet des trois ordres de l’Ancien Régime : un « clergé » républicain avec un parti de bourgeoisie moyenne héritière des Grands Ancêtres de 1792 et gardienne de l’esprit républicain dans sa souche révolutionnaire (« La République, c’est moi » …) ; une « noblesse » autour de M. Macron qui a le soutien des classes privilégiées mais également de ceux qui, en vieillissant, craignent les grands changements ; enfin un « Tiers-État » représenté par le RN, défendant une France périphérique abandonnée qui s’appauvrit.
Dans ce processus de gentrification, l’Église, disions-nous, s’est abstenue de mêler sa voix aux grands débats sociétaux ; en revanche, ses prises de positions politiques ont été invariablement tournées contre deux personnalités emblématiques de la droite, M. Le Pen, puis le président Sarkozy, principalement au sujet de l’immigration massive, faisant la confusion entre l’étranger qui fait halte chez soi et que l’on doit accueillir, et le migrant qui s’y installe. Or, si l’on considère cette question du point de vue économique, il est clair que cette population sous-qualifiée sert de lumpenprolétariat au patronat, permettant de maintenir les bas-salaires au plus faible niveau possible. La bourgeoisie qui possède les médias a réussi à faire croire que l’arrivée de ces masses a été désirée naguère pour « reconstruire » la France après la Deuxième guerre mondiale, mais en réalité, cette reconstruction était achevée quand le président Giscard d’Estaing a décidé d’ouvrir en grand les vannes de l’immigration, créant une « armée de réserve du capital », pour reprendre une analyse de Marx : tandis qu’après Mai-juin 1968, un grand patron gagnait 12 fois le smic, il le gagne aujourd’hui 240 fois. Dans ce contexte oligarchique, l’Eglise n’est qu’une caisse de résonance parmi d’autres, répétant le dimanche à l’homélie ce qui a été dit la veille au Journal télévisé : à la présidentielle de 2017, les catholiques ont voté à 62 % pour M. Macron ; un chiffre tombé à 55 % en 2022, mais avec 14 % pour M. Mélenchon au premier tour, et même 20 % chez les pratiquants réguliers.
La population catholique est aujourd’hui tellement réduite que sa sociologie, en forme de « U », se limite à une barre gauche de ce « U » composée des Africains et Asiatiques chrétiens venus de l’ancien empire, et une barre à droite composée de la bourgeoisie catholique. Entre les deux, un résidu de catholiques populaires très minoritaires, que les déclarations ecclésiastiques sans cesse renouvelées en leur défaveur pourraient faire fuir encore plus.
1. Par ce terme, comme sous l’Ancien Régime, on entend les familles de l’ancienne noblesse et celles qui lui sont apparentées.
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