Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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La politique, c’est décider pour la communauté, pas se réfugier derrière une science dont on idéalise la capacité à rendre parfaitement compte du réel.
La crise du coronavirus a mis la science sur la sellette. On a vu des scientifiques a priori compétents et respectables émettre des opinions parfaitement contradictoires ; des décisions publiques majeures prises sur la base de publications pas sérieuses mais issues de revues renommées ; des déclarations successives de comités scientifiques se contredire après quelques semaines, comme sur l’utilité des masques. Le politique étant à la remorque.
Pour le citoyen c’est très troublant. D’autant plus que ce domaine de la santé est particulièrement sensible, car des vies sont en jeu. Et que les décisions à prendre mettaient en cause radicalement tant des libertés publiques majeures que l’activité économique ; rappelons qu’à la suite de ces mesures nous allons connaître notre pire récession en temps de paix, comparable à la crise de 1929. Or la motivation du confinement, purement sanitaire, se fondait sur les arguments de ces scientifiques que sont les médecins. Le pauvre citoyen, assommé par ces nouvelles, s’est donc trouvé bon gré mal gré devoir suivre le troupeau, sans être toujours convaincu du bien-fondé de ce qui se passait. Suspicion d’autant plus légitime que les résultats obtenus par les diverses politiques suivies varient énormément selon les pays, sans aucune corrélation avec les budgets santé. On va de l’efficacité impressionnante des pays d’Asie libre (Corée, Taiwan etc.), à celle relative mais réelle de l’Allemagne, pour finir aux lamentables résultats tant sanitaires qu’économiques des Français, Britanniques, Italiens et autres Espagnols. Pourquoi les uns ont-ils bien vu les choses et pas les autres, puisque c’est la même épidémie, et a priori la même science ? Ajoutons que cet épisode dramatique intervient dans un contexte où la confiance dans les effets bénéfiques de la science et de la technique est érodée, notamment avec l’écologie.
Pourtant, que ce soit pour la crise sanitaire ou pour l’écologie, la solution passe elle aussi par la science et la technique. Nous avons donc besoin de la science, mais nous découvrons avec consternation qu’elle n’envoie pas souvent un message clair et s’avère même bien ambiguë. Parallèlement, pour la plupart d’entre nous, nous ne nous sentons pas en état d’en juger par nous-mêmes. Moralité, nous devons nous habituer à vivre dans cette situation, qui se reproduira. Cela dit, quelques distinctions pratiques peuvent nous éclairer.
En premier lieu, il y a science et science. Il y a d’abord des domaines où des lois peuvent être énoncées et vérifiées expérimentalement sur grande échelle. Ainsi d’une très grande partie des sciences physiques. Dans ces cas, ce que dit la science est raisonnablement fiable – même si cela ne nous dispense pas de notre responsabilité dans l’usage qui en est fait. Mais malheureusement, ce n’est qu’une partie de ce qu’on appelle science.
Il y a ensuite des domaines où la science n’est pas en état de formuler ce genre de lois vérifiables et vérifiées. Dans ce cas, sur la base des données qu’il a, le scientifique fait des hypothèses, monte des modèles, et tente de vérifier les conséquences qu’il en tire. Son avis reste précieux et indispensable, parce qu’il a un réel savoir, a priori bien plus étoffé que celui du profane. Mais il peut aussi se tromper, les avis peuvent diverger, et les jeux d’intérêts ou de pouvoirs sont importants. Une partie appréciable de ces avis est en outre basée sur des modèles, dont la fiabilité n’est pas évidente surtout si les données manquent. C’est évidemment le cas avec notre virus : il ressemble certes à d’autres virus connus, et ce n’est pas la première épidémie qui survient ; on ne part donc pas de rien. Mais il a aussi des spécificités fortes, et elles sont mal connues.
Cela veut dire une chose simple : dans une telle situation, on ne peut pas décider purement et simplement sur la base d’avis scientifiques, comme l’a sottement proclamé notre gouvernement à l’époque. Il faut évidemment les écouter, mais le rôle du décideur subsiste dans son intégralité, après débat. Comment doit-il opérer ? Il n’y a évidemment pas de méthode générale. Mais il y en a au moins une minimale : regarder ce qu’on a fait dans le passé, et ce que font ceux qui réussissent ailleurs. En l’espèce cela aurait été très utile. À nouveau, en s’instruisant de l’expérience des pays d’Asie, passée et présente, et en prenant des décisions très rapidement, on pouvait réduire massivement l’impact de cette épidémie : masques généralisés, fermeture des frontières, interdiction des rassemblement, tests systématiques… Naturellement cela suppose aussi d’y avoir réfléchi à l’avance et d’avoir pris un minimum de précautions.
Ce qui se présente comme science ressemble au fond à l’information.
Mais l’incertitude sur le champ scientifique ne se limite pas à ces cas. Un domaine analogue est celui de l’histoire ou, dans un autre genre, de l’exégèse religieuse : aucune expérimentation n’est alors possible, et on en est réduit à faire des raisonnements à partir des données disponibles, par constructions fragmentaires. Une telle activité est respectable, et peut donner certaines certitudes, mais elles sont partielles. Il est donc ridicule de se draper dans ce qui est un tissu d’hypothèses pour en tirer des conclusions d’autorité. Croire par exemple avec la foi du charbonnier que l’exégèse scientifique est fiable comme peut l’être la chimie est une lourde erreur, dont de nombreux théologiens abusent de nos jours. Si vous regardez de près cette exégèse dite scientifique, vous verrez qu’elle fonctionne pour l’essentiel sur la base de raisonnements probabilistes, dont la base est souvent faible. Ce qui est d’autant plus paradoxal que son objet est une histoire sainte, supposée fruit d’une action divine, dont il est logique d’attendre qu’elle narre des faits exceptionnels, qui sont donc statistiquement improbables… Encore une fois l’exercice est légitime ; mais il ne saurait que rarement conduire à des conclusions scientifiques au sens véritable du terme.
Il y a maintenant un troisième domaine, qui recouvre toutes les affaires humaines, objet de ce qu’on appelle les sciences humaines, dans lequel la certitude est beaucoup plus faible encore. Sociologie, science politique, économie même (malgré ses chiffres) relèvent de cette catégorie. En fait c’est le mot même de science qui est alors équivoque. Cet emploi est justifié s’il souligne qu’on peut dans ces domaines aussi mener une vraie exploration à la recherche de la vérité, en s’inspirant des sciences dures ou autrement, et par là parvenir à des éléments qu’on peut appeler des savoirs. Mais il est abusif si, en employant le même mot que pour les sciences dures, on se pare indûment de la certitude relative mais objective que ces dernières peuvent donner, qui est hors de portée dans les ‘sciences’ humaines. Car si dans ces domaines on ne parvient pas aux même certitudes, c’est pour des raisons fondamentales et durables. Non seulement parce que la matière est très compliquée, résultant de l’action de millions de volontés distinctes et relativement autonomes ; que les émotions et appréciations subjectives y jouent un rôle majeur ; ou que le savant n’est pas neutre par rapport à la matière qu’il étudie. Mais aussi pour une raison essentielle, rarement soulignée, qui est le caractère réflexif de ces sciences, à savoir le fait que dans ces matières proclamer une loi ou une vérité, ou agir sur leur objet, change par là même cet objet. Cela peut selon les cas invalider la loi, même si elle était vraie avant, ou l’autovérifier, même si elle était contestable. On voit cela déjà avec les prévisions de trafic. Ou avec les épidémies, car si le comportement du virus ne dépend pas de nous, en revanche l’annonce d’une conclusion dite scientifique, ou la prise de mesures sanitaires change le comportement des gens. Dès lors, dans tous ces domaines le rôle du décideur ou du dirigeant est essentiel, mais c’est un rôle politique, car il s’agit d’influencer au mieux le comportement de millions de gens dans le bon sens.
Conclusion pratique : ce qui se présente comme science ressemble au fond à l’information. On disserte beaucoup aujourd’hui sur les méfaits de l’information bidon sur les réseaux sociaux ou les médias, les fameuses fake news. Sauf cas extrêmes, la solution n’est pas de les interdire, mais de prévenir le public que cela existe, et l’encourager à exercer un esprit critique sur l’origine des informations, leur vraisemblance, etc. Il faut manifestement opérer de la même manière avec ce qui se pare du nom de science. Et cela vaut encore plus pour les décideurs, qui ne peuvent pas se dissimuler derrière une supposée science transformée en oracle, même s’ils doivent évidemment écouter les savants. Leur métier, c’est la communauté et leur responsabilité envers elle. Ce que fera cette communauté sera en bonne partie le résultat de leur action, rarement un effet calculable à l’avance par la science. Il est donc légitime que leur responsabilité soit totalement engagée.