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Le trompe-l’œil du passé

En 1995, Michel Zink donne sa leçon inaugurale de la chaire de Littératures de la France médiévale du Collège de France : « La meilleure raison de poursuivre cet enseignement vieux de cent cinquante ans est que son objet n’existe peut-être pas » : toute la méthode de Zink est dans cette apparente désinvolture, dans cette réflexion sans cesse menée sur un objet littéraire forcément augmenté de tout l’appareil gigantesque du commentaire.

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Le trompe-l’œil du passé

La thèse ici défendue, qui rappelle un peu ce qu’enseignait Tolkien, est que la littérature médiévale, qui nous paraît ancienne, invoque elle-même en permanence un passé plus ancien mais qui n’a pas beaucoup de réalité, qui est lui-même une invention probable : « Que la littérature du Moyen Âge se réfère constamment à son propre passé, c’est l’évidence. Qu’elle tisse elle-même cette toile de fond devant laquelle elle prend la pose, qu’elle donne l’apparence de la profondeur à un décor qu’elle-même a peint, voilà qui parait une supposition arbitraire ». Mais non, rien d’arbitraire, et le professeur le démontre et démontre surtout quel effet esthétique est visé : « l’effet littéraire qui oppose la suggestion du résiduel et du primitif à la revendication de la nouveauté puise sa force dans l’implication qu’une vérité gît dans le passé » ; il y a un trompe-l’œil, il y a une distance que nous évaluons mal. Passée la leçon inaugurale, le volume nous offre le cours : c’est une traque haletante d’une “vérité” littéraire qui se dérobe sans cesse au hasard des découvertes, des textes confrontés, des hypothèses contraires, à la recherche d’une mythique « poésie populaire naturelle » qui serait la parfaite expression d’un « génie national » (on sent le poids, que l’auteur souligne, du XIXe dans l’étude des littératures médiévales). « Les chansons du Moyen Âge sont-elles de vieilles chansons ? Certaines ont voulu l’être, et elles y ont gagné, comme « la fée des légendes », d’être « éternellement jeunes » parce qu’elles paraissent vieilles depuis toujours. » Le beau mirage de ces textes qui prétendent être des bribes et de cette poésie qui « entretient une pénombre qu’elle feint sans cesse de vouloir dissiper ».

 

Michel Zink, Le Moyen Âge et ses chansons. Les Belles Lettres/Collège de France, 2024, 192 p., 21,90 €.

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