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Le retour en grâce de Jacques de la Presle

Pour la première fois, un disque révèle l’œuvre pour piano de Jacques de la Presle (1888-1969), plus de cinquante ans après sa disparition ! Et c’est un coup de maître du label Salamandre dirigé par l’excellent Vincent Figuri.

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Le retour en grâce de Jacques de la Presle

Pour Alix Evesque de la Presle

Issu de l’aristocratie champenoise, Jacques Guillaume de Sauville de la Presle naquit à Versailles le 5 juillet 1888. Il manifesta très tôt d’étonnantes dispositions, jouant du piano à l’âge de 6 ans et tenant l’orgue à 10 ans chez les Eudistes de Versailles où il était scolarisé. Un baccalauréat ès-lettres couronna ses études. Sur les conseils de Paul Taffanel, chef d’orchestre à l’Opéra, il entra au Conservatoire de Paris où le formèrent Antoine Taudou (harmonie), Georges Caussade (contrepoint) et Paul Vidal (composition). En 1910, il fut nommé organiste de l’église Notre-Dame de Versailles, poste qu’il conserva jusqu’en 1914. 

Soyez maudits devant ces cent mille cadavres

Et la stupide horreur de cet égorgement. (Leconte de Lisle)

 

Au front dès le début de la guerre en tant que soldat brancardier au 119e Régiment d’Infanterie, il essuya à trois reprises l’enfer de Verdun. Sérieusement gazé 15 août 1918, il passa sept mois entre la vie et la mort et en traîna des séquelles toute son existence. Sa conduite exemplaire lui valut la Médaille militaire et deux citations. Durant le conflit, de la Presle ne renonça pas à la musique. Il composa notamment un morceau symphonique : Soir de Bataille, Impressions 1914-1918, inspiré des Poèmes barbares : « C’est un tableau d’après un poème de Leconte de Lisle, mais surtout d’après ce que j’ai vu ! » confia-t-il à sa fiancée.

En 1920, il se vit décerner le Second prix de Rome pour sa cantate Don Juan (texte d’Eugène Adenis). L’année suivante lui apporta la consécration : un Premier grand prix pour Hermione (poème d’Adenis et Gustave Desveaux-Vérité). Il séjourna donc à la villa Médicis de 1922 à 1925 et effectua un périple à travers toute l’Italie. Il en conservera à jamais un souvenir enchanté. C’est dans son studio romain qu’il élabora son grand ?uvre, l’oratorio en 3 tableaux Apocalypse de saint Jean, primé au Concours musical de la Ville de Paris en 1928 et créé l’année suivante aux Concerts Lamoureux sous la baguette d’Albert Wolff.

Jacques de la Presle professa l’harmonie au Conservatoire de Paris de 1937 à 1958, sous le directorat de Claude Delvincourt. Maurice Jarre, Antoine Duhamel, André Hodeir, Akio Yashiro ou André Mathieu fréquentèrent sa classe. Son enseignement s’appuyait sur un solide classicisme d’école, ouvert toutefois aux nouveautés, transmettant aux jeunes le meilleur de la tradition française. Il aimait les entretenir de littérature, de théâtre, de peinture, de sculpture…, allumant en eux un feu sacré : « La culture c’est la connaissance profonde des formes et des manifestations des sensibilités de ceux qui nous ont précédés. »

Il fut également directeur artistique de Radio-Paris à partir de 1930, de la Radiodiffusion Nationale jusqu’en 1943 et inspecteur principal de l’enseignement musical de 1945 à 1952. Il mourut à Paris le 6 mars 1969.

« Je me tiens en dehors de toute chapelle »

L’esthétique de Jacques de la Presle affiche une instinctive répulsion pour l’excessif. Elle s’oppose à la grandiloquence de Wagner comme au modernisme de Stravinsky. Le modèle qu’il vénère demeure Gabriel Fauré. « J’essaie de rester moi-même, de faire ce que je crois, tout en demeurant très large d’idées et sympathique aux diverses tendances modernes : je réclame seulement le strict droit de ne pas les suivre quand elles sont contraires à ma nature. »

Une œuvre de piano racée

La pianiste Lorène de Ratuld se révèle l’ambassadrice idéale de cet univers élégant, dont elle propose une sélection dans cet enregistrement. « L’écriture pour piano de Jacques de la Presle – estime-t-elle – allie force et subtilité, mêlant l’adresse de l’organiste, professeur de contrepoint au Conservatoire, et un sens aigu de la mélodie. Coloration des registres, multiplication des voix, le compositeur érige par moments une véritable cathédrale de plans sonores. Le balancement souple des rythmes, qui semblent garder trace d’une prosodie secrète, ainsi que leur superposition parfois osée, est remarquable également. Et si la musique de Jacques de la Presle exige une grande virtuosité du pianiste, tant par la vivacité de ses traits que par l’amplitude de ses déplacements, celui-ci se régale à la faire chanter sous ses doigts. »

S’il fait usage de la virtuosité dans Impromptu (1910) et Parade fantasque (1930), le compositeur sait fasciner en dépouillant son langage à l’extrême dans la naïve Berceuse (1929). À ses deux jeunes fils, il destina un Album d’images (1931), surprenante suite pour piano brossant des portraits d’animaux où se mêlent force, tendresse et humour. Il écrivit un Thème et Variations pour son élève, la pianiste Agnelle Bundervoët. D’inspiration fauréenne, l’?uvre fut donnée en première audition à Paris le 11 janvier 1945. Son motif principal provient de la Rhapsodie op. 119 n° 4 de Brahms. La même artiste créa son Concerto en ré pour piano et orchestre en 1951 aux Concerts Colonne sous la direction de Paul Paray. La partition obtint d’ailleurs en 1953 le Prix de la Ville de Paris.

Bien que la couverture du disque annonce : L’?uvre pour piano, celle-ci est loin d’être complète. Il y manque notamment la Sonate (1901). C’est bien dommage. La Petite Chanson pour la poupée (1961) dédiée à sa petite-fille Alix et le triptyque Mirage, Naissance, Sous-bois sont proposés en écoute sur le site de l’éditeur. Pourquoi cet illogique éparpillement ?

Tout chante et tout sourit

Amoureux de la poésie de son temps, Jacques de la Presle excella dans le domaine vocal. Quelque quatre-vingt mélodies, incontestables réussites, magnifient entre autres les vers d’Albert Samain, Francis Jammes, Emile Verhaeren, Henri de Régnier et Louis Le Cardonnel. Sa veine musicale raffinée coule telle une source limpide. De régulières formules rythmiques lui permettent d’audacieuses modulations harmoniques soulignant les subtilités des poèmes. Là encore la qualité de l’écriture pianistique est à souligner. Le joli soprano de Valérie Condoluci convient à la délicatesse de ces ?uvres, mais elle chante ce répertoire avec une lassante uniformité et une diction trop souvent incompréhensible (les poèmes sont heureusement reproduits dans le livret !).

En complément de programme figure une surprise bienvenue : La Forêt, adaptation musicale de Jacques Ibert, proche ami de Jacques de La Presle. Cet inédit splendide bénéficie d’une exquise interprétation de la part du récitant et de la pianiste.

À écouter :

  • Œuvres pour piano et mélodies par Lorène de Ratuld, Valérie Condoluci, Vincent Figuri, 1 CD Salamandre 003
  • Soir de bataille par l’Orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon, dir. Pierre Dumoussaud, collection Les musiciens et la Grande guerre n° 34, 1 CD Hortus 734 
  • Musique de chambre par le Detroit-Windsor Chamber Ensemble, 1 CD Polymnie 590 452

 

Pour approfondir : Les Amis de Jacques de la Presle, 6, rue du colonel Moll 75017 Paris

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