Chrétiens d’Orient. L’Occident s’émeut du sort des chrétiens en Irak et demande à ceux de Syrie de se comporter comme des héros. C’est ne rien comprendre à une situation dont nous paierons les conséquences, explique un des meilleurs spécialistes français de la Syrie.
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A l’occasion des événements de l’été en Irak, la question des chrétiens d’Orient est revenue sur le devant de la scène. Sommée de réagir, la France semble avoir timidement pris en compte une partie du problème, sans que, pour autant, une ligne claire se dégage. En Syrie et en Irak, la présence de près de 2 millions de chrétiens d’Orient est menacée. Entre préoccupations humanitaires et grandes envolées martiales, l’attitude de la France oscille ou se contredit : ces hésitations révèlent cruellement le vide stratégique des dirigeants français en même temps que leurs compromissions mercantiles avec les pays du Golfe.
Une minorité fragile
A l’origine, dès 2011 en Syrie, la Russie avait été la première à s’emparer du dossier des chrétiens d’Orient pour justifier en partie sa politique de soutien au gouvernement syrien. Moscou mettait en garde contre une déstabilisation politique qui se retournerait assurément contre les minorités syriennes et, en particulier, les quelques 7% de chrétiens de Syrie. De ce point de vue, le soft power russe s’est avéré payant, tant la dimension historique de l’enracinement chrétien en Syrie a des résonances, y compris en Occident. La France, elle, renonçant dans un premier temps à jouer sur la corde traditionnelle de la protection des chrétiens d’Orient, a été rattrapée par l’effarante politique menée par l’état Islamique à Mossoul durant l’été 2014. Quand la localité chrétienne de Maaloula fut attaquée par le front Al Nosra en septembre 2013, le Quai d’Orsay avait été pris de court.
Il est vrai que pour certains ambassadeurs de France en Syrie, les chrétiens de Maaloula étaient ces gens « qui portent des toasts à Bachar ». Et pourtant, nul n’ignorait la particulière vulnérabilité de ces derniers en cas de chute du régime. Mais la « servilité » des chrétiens à l’égard du régime de Bachar al Assad est une affaire entendue au Quai et leur sort n’entrait pas dans l’équation. Faut-il rappeler à ces mêmes diplomates combien leur vie nocturne aurait sans doute été différente lors de leurs séjours à Damas, s’il n’y avait eu Bab Sharqi, le quartier chrétien de Damas, et ses night clubs bien connus du personnel de l’ambassade de France ? N’ont-ils surtout pas vu la dimension hautement symbolique de cette présence chrétienne sur laquelle s’arc-boute la Russie ?
Certes, dans l’ensemble, le clergé chrétien s’est montré loyaliste. Certains responsables ont, sans ambiguïté, affichée leur soutien au gouvernement en place et soutenu certaines de ses initiatives, comme la création d’un Ministère de la Réconciliation Nationale en juin 2012. Mais il faut se garder de juger de l’extérieur. À ce titre, la réaction d’un évêque français en septembre 2013, Mgr Dagens, critiquant très durement ses « frères dans l’épiscopat », et appelant à une intervention militaire avait de quoi surprendre. Le Vatican est pourtant très bien renseigné : ces positions loyalistes correspondent à une attitude traditionnelle, celle d’une minorité très sensible historiquement à l’insécurité qui caractérise son existence en terre d’Islam : les chrétiens de Damas ont par exemple encore la mémoire des massacres de… 1860.
Des cibles désignées
En cas de partition et d’éclatement territorial de la Syrie ou de l’Irak, il ne faut pas oublier non plus que les chrétiens sont les seuls, contrairement aux Druzes, aux Alaouites ou aux Kurdes, à ne pas disposer d’un « réduit » territorial. En revanche, les vieux réflexes qui sont ceux des situations de guerre civile, avec leurs lots de règlements de comptes, de jalousies et d’anarchie toucheront les chrétiens. L’idéologie islamiste qui imprègne la « révolution » en Syrie est formatée par ses bailleurs de fonds : les monarchies pétrolières du Golfe. Pour autant, il n’y avait pas au début de programme spécifiquement antichrétien porté par l’opposition en Syrie. Les groupes qui espéraient une aide de la part de l’Occident se sont bien gardés de mettre au goût du jour ce type d’agenda. Plus nettement, les représentations religieuses du conflit portent essentiellement sur la rivalité sunnites-chiites. Mais plus le temps passe, plus ces chrétiens deviennent des cibles désignées, bien sûr en Irak, mais aussi en Syrie : les prises de position occidentales tardives mais fermes devraient accélérer encore cette tendance.
Mais, alors que les chrétiens d’Irak deviennent des victimes à protéger, les chancelleries occidentales n’ont pas encore résolu le dilemme des chrétiens de Syrie. Ces derniers sont accusés d’attentisme, voire de complicité avec un régime diabolisé depuis les débuts du conflit. Mais qu’attendre d’autre de la part de populations minoritaires ? Populations incapables de se défendre efficacement, comme l’a prouvé la fuite immédiate de tous les habitants de Maaloula lors de l’attaque du 9 septembre. Fallait-il qu’ils prennent les armes contre un pouvoir dictatorial ? Qu’ils émigrent pour refuser l’arbitraire ? Installés dans nos certitudes occidentales, nous sommons ces chrétiens d’être des héros.
En somme, l’Occident postchrétien voudrait que les chrétiens de Syrie soient, en quelque sorte, conformes à l’Évangile, c’est-à-dire « le sel de la Terre et la Lumière du monde »… Étrange hommage de la modernité rationaliste aux chrétiens d’Orient. Demande-t-on autant à l’Islam ? Il faudrait, à ce jeu-là, exiger des musulmans une clarification de leur position quant à la violence, une claire condamnation du djihadisme. Ce genre de questions ne s’est pas posé quand il s’est avéré qu’en Libye et en Syrie, Al Qaïda combattait aux côtés de ceux que l’on soutenait. Nous en paierons les conséquences et la disparition des chrétiens d’Orient sera le remords de l’Occident.
* Dernier ouvrage paru : Syrie, pourquoi l’occident s’est trompé, éditions du Rocher, 132 p., 13,50 euros.
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