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Le regard intérieur

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Le regard intérieur

Natsumé Soseki (1867-1916), écrivain de l’ère Meiji (1868-1912 qui marque l’ouverture du Japon à la modernité), est également auteur de contes, de nouvelles et de 2500 haïkus, forme suprême de la poésie pour dire l’impermanence des choses. Bien qu’ayant vécu et enseigné trois ans en Angleterre de 1900 à 1903, son éducation et sa pensée firent de lui un homme d’une vaste culture profondément ancrée dans l’ancien Japon.
Oreiller d’herbes, écrit en 1906, le plus lu de ses romans, exprime toute la sensibilité nippone qui va au-delà de l’apparence des choses pour mieux en faire vibrer le contenu. Un peintre se retire dans les montagnes loin des passions et de l’agitation du monde, en quête d’« impassibilité », seule posture, selon lui, pour accéder à la contemplation artistique, élément central de l’ouvrage. Dans l’auberge où il loge, la rencontre de Nami, fille du patron des lieux, dont le destin se recoupe avec celui de la belle Nagara, légende de la région, aiguise sa curiosité autant qu’elle le hante. L’artiste décide de rendre hommage à sa beauté en réalisant son portrait ; mais réussira-t-il ? Comment atteindre les racines vraies de l’art ? Soseki décrit alors le processus par lequel l’artiste traverse le point de vue poétique : « Le poète, dit-il, a le devoir de disséquer lui-même son propre cadavre et de rendre publics les résultats de son autopsie ». L’acuité du regard ne suffit pas, il faut autre chose, ne pas s’identifier à une chose mais « bouger en extase ». À vrai dire, l’artiste ne crée pas, il découvre : « Il ne s’agit pas de projeter le monde. Il suffit d’y poser son regard directement, c’est là que naît la poésie ». Tout le long du récit, et jusqu’à la dernière ligne, Soseki intrigue le lecteur jusqu’au moment inattendu où va éclore son chef-d’œuvre. Ce roman, nourri de réflexions esthétiques et existentielles, parsemé de haïkus, suit le regard intérieur de l’artiste contemplant dans l’instant le monde en attendant la beauté frémissante du trait, cette étincelle qu’on appelle création. Puisque la poésie apaise le monde, posez votre tête sur l’oreiller d’herbes et laissez-vous porter.

Natsumé Soseki, Oreiller d’herbes, Rivages Poche, 218 p., 7,50 €

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