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Le père de l’opéra national polonais

Le label cracovien Anaklasis œuvre de manière salutaire à la diffusion du patrimoine musical. Bien que certaines pages – comme la mazurka de Halka – soient connues de toute la Pologne, l’œuvre de Stanisław Moniuszko (1819-1872) demeure méconnue en France.

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Le père de l’opéra national polonais

Né à Ubiel, en Biélorussie, Stanisław Moniuszko s’initia au piano avec sa mère et poursuivit son apprentissage de la musique à Varsovie avec August Freyer, organiste et maître de chapelle de l’église de la Sainte Trinité. À partir de 1837, il entreprit des études approfondies de composition à Berlin auprès de Carl Friedrich Rungenhagen. Revenu en Pologne pour se marier en 1840, il devint organiste de la paroisse Saint-Jean de Vilnius. Il enseignait aussi le piano et, à l’occasion, dirigeait l’orchestre du théâtre local. Ses amis, l’écrivain Józef Kraszewski et le dramaturge Aleksandr Fredro, stimulèrent son intérêt pour le théâtre lyrique. C’est ainsi qu’au milieu des années 1840, il commença à composer intensément.

Son catalogue comprend des ouvertures symphoniques, des ballets, des messes, des pièces pour piano ainsi que deux remarquables quatuors à cordes (1839 et 1840). Quelque 360 mélodies établirent également sa réputation. Il dirigea l’Opéra de Varsovie à partir de 1859, rédigea un Traité d’harmonie édité en 1871 et s’éteignit l’année suivante à cinquante-deux ans.

Moniuszko produisit une douzaine d’opéras et des opérettes qui rencontrèrent un indéniable succès, permettant au peuple d’y retrouver sa culture dépréciée. L’interdiction de son second ouvrage, Halka (1847), considéré dangereusement pro-polonais par la censure tsariste dominant alors le pays, lui conféra une aura de musicien patriote qui prit une telle ampleur que son œuvre compta activement dans la révolte nationale. Moniuszko puise son inspiration mélodique dans les chansons traditionnelles polonaises, biélorusses et lituaniennes. Son style combine l’attraction du premier romantisme allemand, de l’opéra italien et du théâtre polonais. Halka et Le Manoir hanté, ses deux opéras les plus célèbres, demeurent des piliers du répertoire.

https://www.youtube.com/watch?v=JRs5_59ggcE

Un batelier sur la Vistule

Séjournant à Paris en juin-juillet 1858, il se familiarisa avec les ouvrages d’Auber et d’Halévy mais n’apprécia guère la vie ni les théâtres de la capitale. Désireux de profiter de l’engouement suscité par les représentations de Halka, il ébaucha en hâte dans un hôtel de la rue de Gramont un nouvel opéra sur un livret de Stanisław Bogusławski. L’histoire de Flis (Le Batelier), tableau campagnard d’amours contrariées, se déroule sur les bords de la Vistule, près de Cracovie. Un riche pêcheur promet sa fille à un coiffeur de Varsovie afin d’assurer son ascension sociale. Mais Zosia brûle pour Franek, un modeste batelier, que l’on croit emporté par une tempête. Il en réchappe et, bien que la situation paraisse désespérée, tout s’arrange lorsque les rivaux se découvrent être frères, séparés dans leur enfance. Le final célèbre le rude métier de bateleur, érigeant le travail en vertu nationale par opposition à la frivolité citadine. Moniuszko y varie admirablement les atmosphères, de l’intériorité des sentiments (Prière de la scène 1 par exemple) à l’exaltation jubilatoire des mariniers imprégnée de thèmes aux allures folkloriques. L’esprit de l’opéra-comique français ou du buffa rossinien n’est jamais loin même s’il apparaît distancié. L’ouvrage obtint un triomphe lors de sa création le 24 septembre 1858.

La version historique de ce Batelier, gravée en février 1962 dans la salle de concert de la Philharmonie de Varsovie, rassemble le gratin du chant polonais. Soliste adulée du théâtre varsovien, Halina Słonicka, est ici au sommet de son talent. Ses partenaires masculins ne déméritent en rien, notamment la basse Bernard Ładysz, premier artiste polonais à avoir enregistré pour la firme Columbia en incarnant le Raimondo de Lucia di Lammermoor de Donizetti aux côtés de Maria Callas. Dès l’Ouverture, la direction de Zdzisław Górzyński, fin connaisseur de l’univers du compositeur, insuffle une dynamique enflammée et galvanise plateau et orchestre. Le chef souligne les accents populaires et exalte les couleurs des danses nationales. Mais pourquoi donc avoir coupé le quatuor de la scène 8 ?

Les fantômes du château

L’« Institut National Frédéric Chopin » nous offre le premier enregistrement de l’intégralité des quatre actes du Straszny Dwór (Le Manoir hanté) composé en 1861-1862, comédie faussement naïve de Jan Chęciński, sur fond de romantisme fantastique hérité de Walter Scott. L’intrigue assez alambiquée présente deux célibataires poussés au mariage par d’inquiétants sortilèges (mais les spectres du château ne sont en réalité que les demoiselles déguisées pour duper leurs galants.) La partition imaginative, comportant plus d’ensembles que d’airs solistes, développe une haute inspiration et maintient une tension dramatique constante. A côté de tournures spécifiquement slaves se perçoivent des influences assimilées de Meyerbeer, Tchaïkovski et du belcanto. Le chef-d’œuvre de Moniuszko fut créé à Varsovie le 28 septembre 1865, deux ans à peine après le soulèvement polonais, mais se vit lui aussi censuré par l’occupant russe au bout de trois représentations. Des allusions patriotiques se dissimulent de-ci de-là dans la musique même, comme l’horloge arrêtée symbolisant le cœur endormi de la nation. Les mélomanes devront attendre 1914 pour le retrouver sur scène ! Une équipe de vaillants solistes sous la direction de Grzegorz Nowak rend ici justice au Straszny Dwór, apologie de la polonité. Il nous semble toutefois curieux d’enregistrer un opéra de 1862 avec un « orchestre du XVIIIe siècle » sur instruments d’époque…

Vers un futur électronique

Le riche patrimoine du chant traditionnel continue de fasciner les nouvelles générations. En témoigne la réappropriation contemporaine du Chansonnier à usage domestique de Moniuszko concoctée par la chanteuse Agata Zubel, le violoncelliste Andrzej Bauer et l’arrangeur Cezary Duchnowski. Le trio use de l’improvisation et d’une assistance par informatique et algorithmique. Leur interprétation cherche à réactualiser l’essence expressive de douze chansons afin de les propulser vers le futur en habits retaillés. C’est dépaysant, inventif et surprenant. Et les sonorités modernes, si elles tendent à effacer les particularismes profonds de ces chants, séduiront une jeunesse aux oreilles formatées par les productions mondialisées.

 

Illustration : Stanisław Moniuszko est une figure nationale : il orne les billets de 100 000 Złotych.

À écouter :
  • Flis (Le Batelier), opéra en un acte, Antoni Majak, Halina Słonicka, Bernard Ładysz, Bogdan Paprocki, Andrzej Hiolski, Zdzisław Nikodem, Chœur et Orchestre de la Philharmonie de Varsovie, direction Zdzisław Górzyński. 1962. ANA 005.
  • Strasznoy Dwór (Le manoir hanté), opéra en quatre actes, solistes, Chœur de Podlachie, Orchestre du XVIIIe siècle, direction Grzegorz Nowak, NIFCDD 084-085
  • E- Śpiewnik, Agata Zubel, voix, Andrzej Bauer, violoncelle, Cezary Duchnowski, arrangements électroniques. ANA 009

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