« Une page venait de se tourner, celle d’une histoire à ne lire hélas qu’une fois. Il me restait à finir d’écrire la mienne, dont j’avais conscience qu’il n’y avait plus tant de feuillets à remplir ».
Du premier roman de Dominique Lelys, Le Retable, je me souviens d’avoir écrit que sa lecture m’avait procuré quelques heures de douceur et de sérénité ; comme une pause dans le bruit et l’agitation du monde qu’une fragrance de violette, symbole de la fidélité, avait suffi à faire oublier. D’un Château de Cartes aussi je garderai une odeur : celle fugace et discrète, presque secrète, du bleuet du souvenir.
Ce souvenir c’est celui d’une rencontre, à la terrasse d’un café, entre le narrateur, Féodor, sexagénaire à l’âme slave, et Marie, jeune fille de vingt-sept ans, à la beauté aussi saisissante que mystérieuse qui saura réveiller chez ce descendant de Russes blancs, désireux de séduire, l’image enfouie de Liesbet, jeune Flamande immortalisée par le pinceau d’un maître du quinzième siècle, tenant une carte dans la main. Naîtra alors entre ces deux êtres que tout sépare une idylle, à laquelle Fédéor ne renoncera qu’après avoir rencontré Elisabeth, femme de tête et d’esprit. Cet amour, Féodor le vivra par procuration, à travers sa romance avec Elisabeth, image sublimée de Marie, et Charles, fidèle ami, à qui il présentera sa Reine de Cœur. Il s’était rêvé Orphée ou Tristan, il ne sera que Pygmalion ou Cyrano.
Ce roman, qui décrit avec subtilité et clairvoyance les errements et les tortures de l’âme humaine, véritable miroir aux sentiments, est construit comme un huis clos. C’est un voyage dans un lieu unique, dans ce pays de l’hier qu’est la mémoire dont reste à jamais prisonnier le héros, pour le plus grand plaisir du lecteur.
Dominique Lelys, Un Château de Cartes, Le Lys Bleu, 258 p., 21,80 €.