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Le mat et le brillant

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Le mat et le brillant

Certains aiment le sucré, d’autres préfèrent l’amer ; il y a ceux qui collectionnent les gravures à l’eau-forte, et ceux qui recherchent les aquarelles ; les uns sont bouleversés par les voix chaudes, les autres par les piquantes, les acides. En photographie, on peut choisir un tirage sur papier mat, ou sur papier brillant. J’ai toujours été frappé par la voix mate de J.M.G. Le Clézio. Son dernier livre, Chanson bretonne (éditions Gallimard), explique cette voix, qu’on entend dans la musique de son style.

Le livre est constitué de deux textes que l’auteur appelle des contes, la Chanson bretonne du gros titre, puis L’enfant et la guerre. Pourquoi les appeler des contes, alors qu’il s’agit de deux récits personnels, dans lesquels l’auteur évoque ses séjours en Bretagne, puis sa vie à Nice pendant l’Occupation ? Essentiellement, je pense, parce qu’il s’agit de tentatives pour retrouver la façon dont les enfants vivent, dont ils perçoivent le monde, sans chronologie, sans références qui ordonnent et déforment, directement, comme dans les contes, où la perception du monde est immédiate, donc magique. Car il est merveilleux de voir les choses ingénument, comme on découvre la naissance d’un enfant, d’une fleur, d’une âme donnée dans un sourire. On peut en être ébloui, tout est alors brillant, mais on peut aussi s’y laisser fondre, comme un sucre dans le thé, et tout en devient mat. Jean-Marie Gustave Le Clézio s’est fondu dans sa vie, en particulier dans cette Bretagne, où il a paradoxalement peu vécu.

Pourquoi alors a-t-elle tant compté ? Parce qu’elle a disparu, que tout a changé, que la modernité a relégué le passé dans un vieux sac. Tout est donc à reconstituer. Et c’est par cette reconstitution obligée que l’on entre au pays des chansons et des contes, avec des bribes de langue, cette langue d’enfance que les bretons ont oublié afin qu’elle se conserve mieux. Alors se manifestent des scènes vivantes, ressuscitées, comme celle de la pompe communale où il fallait aller chercher l’eau pour les activités nobles, ou celle des filles du chef scout, qui sortent d’un rêve, et évoquent ainsi la trame trouée d’un film de Bergman. L’écriture de Le Clézio, discrète, presque terne, se révèle merveilleusement apte à rendre présent un passé qui n’est qu’effleuré, pour ne pas risquer de le déflorer. Précautionneusement replacé sur le guéridon d’un vieux manoir comme une photo sépia, puis rangé de nouveau dans les poussières, qu’un rai de soleil transforme en pépites d’or, si fin qu’il en est terne, comme brillent la matité des clous de cuivre des antiques lits-clos. Tout ce monde sort « d’un conte de Perrault », et l’auteur se souvient – ou invente, mais inventer, c’est redécouvrir, remettre au jour – qu’il avait le sentiment « d’entrer dans un dessin ».

Ce premier conte est riche de tant de jolis tableaux qu’on peut le visiter comme un musée d’art et d’histoire. Le second est plus ombré, plus inquiétant. L’enfant et la guerre tente le tour de magie de rendre la guerre comme un enfant l’a perçue autrefois, dans une région épargnée, où la vie fut paradoxalement plus difficile qu’ailleurs. « Les enfants ne savent pas ce qu’est la guerre », aussi plus tard se souviennent-ils seulement « qu’il se passait quelque chose. » Dans ce monde magique, « hors du temps », il était une fois des « sauvageons », qui affronteront bien des traverses avant d’être de nouveau civilisés. Pour Le Clézio, c’est le voyage et le Nigéria qui feront cet office éducatif. Parce que selon lui, ce sont les lieux découverts ailleurs qui civilisent.

Ce que l’auteur a vécu comme dans ces contes, où les choses sont bien réelles, mais incompréhensibles, est la matrice de sa sensibilité blessée ; et pour ne pas en mourir, il faut transformer en conte écrit ce qui a été « gris comme le ciel de l’aube […] couleur du ciment des falaises […] couleur de l’air confiné de la remise. » Le Clézio nous donne les contes où sont nés ses personnages, ses thèmes, son art. Dans le sentiment « du vide, de la faim, de la peur », dont il tente de saisir le mystère, et sans doute aussi, d’en pratiquer une fois de plus l’exorcisme.

Antoine Sénanque, lui, est du côté du brillant. Son dernier roman, Que sont nos amis devenus (éd. Grasset), en donne une preuve… éclatante. Le brillant, c’est d’abord l’amour des structures recherchées, complexes, d’un art où le plaisir de construire s’éprouve dans la virtuosité. L’histoire est racontée avec un tel goût des raffinements, des formes savantes délicatement ouvragées, qu’elle en devient une broderie de fils d’or et d’argent, pareille aux vieux brocarts.

Ensuite, le brillant, c’est l’entrée en scène nombreuse de personnages ciselés, avec des creux et des reliefs saillants, ce qui permet de renouveler la psychologie sans en avoir l’air, mieux, de ne pas tomber dans la psychologie afin de mieux cerner les caractères. J’emploie ce mot de caractère au sens où la Bruyère l’employa, faisant tourner le manège des variations et bizarreries de la nature humaine dans un défilé de caractères, des personnalités uniques et mystérieuses, risibles quand on les regarde s’agiter sur le théâtre du monde, pathétiques quand on se place à l’intérieur de chacune pour en ressentir fraternellement les émotions, que nous prenons pour des pensées, alors qu’elles ne sont que des transports (encore un de ces mots indispensables de notre français classique, que nous négligeons, nous condamnant à ne plus comprendre la vie intérieure).

Les personnages d’Antoine Sénanque ont des transports, des mouvements de l’âme qui les font soudain changer de place sur le théâtre de la vie, où les rôles ne sont pas trop fixés pour ne pas nous priver de la liberté de varier en nous accommodant. Ainsi le geste de Camille, jetant les pages de son roman au fil de l’eau, est un beau transport de l’amitié. De même que Pierre Mourange, médecin, a eu un transport qui l’a fait devenir directeur d’ehpad. Ainsi encore l’inspecteur Guise a-t-il un transport quand on lui confie l’enquête sur la mort du docteur Petit-Jean. Car il faut que je vous dise que ce roman pourrait être un roman policier, si Antoine Sénanque ne préférait pas le brillant au noir mat des romans avec meurtres et recherche d’un coupable, nécessairement bizarre. En conséquence de cette préférence, l’inspecteur n’est pas un type à la logique imparable, mais un gaillard « limité » dont il est précisé que « serré et épais étaient les caractères dominants de son esprit ». Car dans un livre brillant, les personnages ne sauraient briller. En effet, le paradoxe du brillant, c’est l’éclat de l’art sur des sujets fades.

Ainsi, ce roman sur l’amitié raconte les trahisons, les misères qui entachent la vie de Camille et Pierre Mourange. Ou bien l’échouage dans les chambres contigües d’un mouroir de deux attendrissants « hiboux » qui s’aiment. Car dans ce roman sur les hommes, si finement humain, les personnages les plus attachants ont des sobriquets d’animaux : le chat est une petite fille apprivoisée par un psychiatre, les hiboux, deux vieux sages retirés du monde. On se trouve ainsi dans les parages de notre bon La Fontaine : le même brillant, la même délicatesse, le même goût de l’allusif et du reflet.

Et aussi la même violence retenue de la satire, dont le pessimisme est tempéré par la bonté. C’est ici que je veux dire un mot de Mathilde, la fille de Pierre Mourange, le héros, qui, étudiante consciencieuse, fait un mémoire « sur les intégrales des mouvements de foule », et pour cela, installée à un carrefour avec un appareil intimidant, « compte les cons qui passent ». Elle aime son parrain Camille, pour la raison qu’il a « toujours fidèlement tenu à oublier chacun de ses anniversaires. » Il y a bien d’autres joliesses dans le caractère de cette enfant, qui a un gros problème avec son père. Je vous invite à découvrir la chose, sans chercher à vous convaincre, car Antoine Sénanque, qui pratique l’étymologie fantaisiste, m’a appris que convaincre voudrait dire « vaincre les cons ».

On voit que le brillant peut aller jusqu’à s’amuser avec de la verroterie. Mais c’est précisément ce qui fait son charme. Au fond, le brillant est baroque, au sens où l’histoire de l’art situe le baroque : Versailles est un sommet du baroque, les Caractères de La Bruyère en participent donc. Le mat est du côté des gens graves, le brillant n’est pas dupe. Louis XIV aimait trop le spectacle pour ne pas être brillant. Louis XVI fut un roi mat, d’où peut-être son échec politique.

Chanson bretonne suivi de L’enfant et la guerre, Deux contes, J. M. G. LE CLÉZIO, Gallimard, 160 p., 16,50 €
Que sont nos amis devenus ? Antoine Sénanque, Grasset, 250 p., 18 €

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