Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Faites vous-même votre malheur est un petit bijou d’ironie qui n’a pas besoin de forcer le trait pour flatter et railler de concert notre pente naturelle qui, il faut bien le dire, aime à descendre ou même chuter, attirée par quelque irréductible pesanteur. Paul Watzlawick (1921-2007), psychologue de son état et l’un des piliers de la célèbre École de Palo Alto, a rédigé non sans grâce, un compendium des meilleures façons d’échouer dans tous les domaines de la vie, qu’il s’agisse de notre destin personnel ou de nos relations avec autrui. Ce manuel de savoir-rater dont chaque proposition est éprouvée – tant nous y reconnaissons nos tours et détours quotidiens – se décline en quatorze stations d’assurance-malheur et forme un véritable manuel de l’échec. Il reprend à son compte, en la parodiant, la manière des livres de développement personnel et autres recettes des coachs de vie devenus nos gourous dans un espace social où la seule quête légitime serait celle du bonheur à tout prix.
Et Paul Watzlawick d’égrener les impasses morales menant tout droit au fiasco, nous faisant rire de nos folies trop humaines : avoir des buts inatteignables, idéaliser le passé – en mode « c’était mieux avant », persévérer dans l’erreur en demeurant loyal à soi-même pour mieux rater encore, se jeter tête baissée dans des relations où les gouffres culturels sont infranchissables, ou encore abuser de l’injonction contradictoire et du chantage aux sentiments. En d’autres mots, il n’est jamais trop tard et on ne doit rien négliger pour se faire du mal !
Cette approche, pragmatique et désopilante, repose sur la pensée développée par notre auteur selon laquelle la réalité est le produit de nos représentations mentales et non pas le reflet de la réalité elle-même, ce qu’il appelle lui-même la réalité de la réalité. Pour cette démarche relevant du constructivisme radical, la réalité tant personnelle, que sociale ou idéologique, n’est qu’une interprétation. Pour tenir ou pour guérir dans ce monde, il suffit donc de changer cette construction. Paul Watzlawick ira même jusqu’à dire qu’ « il n’ y a pas d’individu malade en soi mais des systèmes sociaux et familiaux qui induisent des pathologies. »
Malgré le systématisme de la thèse du livre, qui favorise la construction mentale au détriment de la réalité objective, ce manuel du parfait mal-vivre, si juste dans ses observations et ses diagnostics, nous rappelle avec un humour redoutable et non moins salvateur cette vérité toute crue livrée par Dostoievski dans Les Possédés : « L’homme est malheureux parce qu’il ne sait pas qu’il est heureux. »
Nota : on pourra trouver des échos de ce livre dans deux ouvrages plus récents et tout aussi jubilatoires et libérateurs de Dominique Noguez : Comment complètement rater sa vie en onze leçons (2002) et Vingt choses qui nous rendent la vie infernale (2005).